Exonérations fiscales

Exonérations fiscales : Ça vous chatouille ou ça vous grattouille?

On ne savait pas le conseiller d’Etat Broulis si chatouilleux (ou gratouilleux ?) Mais visiblement, il n’aime pas du tout que des sans-grade, des députés un peu curieux, par exemple, viennent demander des explications en matière d’exonérations fiscales. Il faut donc cesser de déranger l’administration et ne pas réduire l’attractivité du canton par des débats récurrents.
Non mais des fois !

On se rappelle que le Contrôle fédéral des finances avait sévèrement tancé le canton de Vaud pour son laxisme dans l’octroi des exonérations fiscales et surtout pour ses lacunes dans le contrôle du respect des conditions liées à ces exonérations, témoignant d’un manque de curiosité certain.

Le groupe multinational brésilien Vale s’était ainsi vu réclamer 212 millions de francs d’impôts arriérés, après un recours des autorités fiscales fédérales. Pour tenter de clore la polémique et rétablir un climat rassurant… pour les entreprises intéressées, le Conseil d’Etat vaudois avait donc publié en juin 2012 une circulaire administrative sur l’exonération temporaire des entreprises.

La circulaire précise un certain nombre de notions et de critères d’attribution. Sur le papier du moins. Car en ce qui concerne l’application la réalité peut être légèrement différente.

 

« Pour toute autre raison jugée pertinente »

Le gouvernement vaudois s’octroie en effet une belle marge de manœuvre d’appréciation et de larges possibilités de dérogation à ses propres critères lorsqu’il affirme qu’il peut « déroger aux principes et aux critères mentionnés […] en relation avec les perspectives conjoncturelles ou pour toute autre raison jugée pertinente » (point 3.5.2). Un peu plus haut dans le même document, il est aussi expliqué qu’au nom de la politique d’appui au développement économique (PADE), « la notion de modification fondamentale de l’activité sur le plan économique peut être analysée de manière assouplie.?» Une notion qui, assimilée à une fondation nouvelle, ouvre la porte à l’exonération fiscale. On peut par ce biais accorder ainsi à des entreprises implantées depuis pas mal de temps dans le canton un parapluie fiscal bienvenu.

Cela expliquerait peut-être la nervosité du grand argentier vaudois, qui devant la commission chargée de traiter le postulat de Jean-Michel Dolivo (La Gauche et membre de solidaritéS) demandant principalement un moratoire temporaire et un rapport sur les effets de ces exonérations, à subtilement avancé que le « la question sous-tendue par ce postulat est de savoir si les exonérations fiscales doivent continuer d’exister.?» On appelle cela un procès d’intention. En revanche, ce n’en est pas un de constater que le Conseil d’Etat ne veut informer que certaines personnes et pas d’autres. L’exécutif est en effet « prêt à informer par le biais de petits groupes de travail.?»Faire la lumière, éventuellement, mais en baissant bien l’abat-jour ! Au passage, Pascal Broulis inventera un contrôle a priori demandé par le postulat, contre toute évidence. Notre député avait en effet clairement déclaré devant le plénum du Grand Conseil qu’il demandait qu’un « rapport soit présenté au Grand Conseil sur les instruments dont le Grand Conseil sur les instruments dont le gouvernement entend se doter pour mesure les effets desdites exonérations et pour contrôler l’application des critères d’octroi.?» Ce qui, évidemment, ne peut être réalisé qu’après coup.

 

Des entreprises de confiance

La minorité de la commission qui traitait ce postulat, composée de socialistes et de Verts et battue par les bourgeois, a aussi révélé le degré de confiance qui est accordé aux déclarations des entreprises dans ce processus. Les contrôles s’effectuent en effet sur la base d’un « reporting », autrement dit un rapport) annuel « que les entreprises doivent remettre à l’administration. La véracité des informations communiquée par l’entreprise est attestée par la signature d’une personne autorisée à engager l’entreprise.Un formulaire détaillé préétabli est disponible auprès des Services cantonaux compétents. » Et le contrôle de ces informations ? Ouh là, là ! ça doit ressembler à du terrorisme pour le Conseil d’Etat. Déjà qu’il semblerait que, comme le note la minorité de la commission : « les entreprises qui ne renvoyaient pas ces grilles de reporting ne semblaient pas être vraiment très poussées à le faire ». Et la circulaire du gouvernement se garde bien d’indiquer un quelconque élément de suivi et de contrôle. Au vu du rapport des forces parlementaires, il n’est pas sûr du tout que le Grand Conseil accepte de grattouiller un peu cet exécutif si chatouilleux.

 

Daniel Süri

 


 

« Le tambour : Quand j’ai dîné, il y a des fois que je sens une espèce de démangeaison ici. Ça me chatouille, ou plutôt ça me gratouille.

Knock : Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous grattouille ?

Le tambour : Ça me grattouille. Mais ça me chatouille bien un peu aussi… […]

Knock : Est-ce que ça ne vous grattouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette ?

Le tambour : Je n’en mange jamais. Mais il me semble que si j’en mangeais, effectivement, ça me grattouillerait plus. »

 

Jules Romain, « Knock », Folio, Gallimard. On peut voir Louis Juvet dans cette tirade célèbre sur YouTube.