Tunisie

Tunisie : Avancées du front populaire pour la réalisation des objectifs de la révolution

Deux ans après la révolution qui a fait tomber Ben Ali, nous publions ici une interview de notre camarade Anis Mansouri, de retour de Tunisie sur la situation politique actuelle dans ce pays.

Peux-tu nous dépeindre les grandes traits de la situation politique aujourd’hui en Tunisie ?

 

Deux ans après le soulèvement à Sidi Bouzid, un climat de tensions et d’insécurité accompagne la colère qui gronde et le sentiment de ras-le-bol qui se propage d’une manière exponentielle. La société est de plus en plus divisée entre les porteurs d’un projet de société rétrograde et ceux qui aspirent à une société d’émancipation. L’assemblée nationale constituante est de plus en plus contestée et délégitimée et n’a même pas été capable d’achever les travaux d’élaboration de la nouvelle constitution ! 

Les discussions autour de la dernière proposition du projet de constitution laissent prévoir une profonde confrontation entre deux camps. Le gouvernement confirme ses choix libéraux, antipopulaires et antidémocratiques. Son dernier accord avec l’Union Européenne est le meilleur exemple de cette politique qui ne cesse d’approfondir la misère, l’inflation et le chômage.

La criminalisation et la répression des mobilisations sociales vont de pair avec les campagnes de dénigrement et de diffamation menées par le gouvernement et ses alliés contre les militant·e·s et les syndicalistes ! Nous avons enregistré l’apparition d’une violence organisée par des milices baptisées frauduleusement « comités de protection de la révolution » téléguidées par les obscurantistes contre la centrale syndicale UGTT, contre les journaliste, les artistes…

Ces derniers jours, nous assistons à une amplification des mouvements de grève ou de contestation tant dans les secteurs professionnels les plus combatifs tels que l’enseignement, la poste, la santé publique, le transport qu’au niveau des régions qui continuent à subir l’exclusion et la marginalisation.

La réussite des grèves générales régionales dans les villes de Siliana, de Sidi Bouzid, de Sfax, du Kef est un excellent indicateur quant aux perspectives de luttes à venir. Le système judiciaire n’a connu aucune amélioration dans le sens de son indépendance. Je dirais même qu’il est en train de reproduire les mêmes politiques de soumission aux dirigeants d’Ennahdha, le parti obscurantiste au pouvoir.

Au niveau politique, les lignes sont en train de bouger à grande vitesse. Nous sommes loin de l’hégémonie de la bipolarisation politique dominée par les deux pôles celui des obscurantistes et leurs alliés et celui des libéraux. Le Front populaire pour la réalisation des objectifs de la révolution (FP.ror). est en train de prendre de l’importance. C’est un front qui regroupe des organisations de la gauche marxiste combative (Ligue de la Gauche Ouvrière, Parti des Travailleurs Tunisien, Mouvement  unifié des patriotes démocrates) et des courants du nationalisme arabe et des indépendant·e·s.

 

 

Quelle est la situation de la gauche tunisienne et du FP.ror en particulier ?

 

Le FP.ror est devenu incontournable en Tunisie. En très peu de temps, on le trouve implanté dans toutes les régions du pays et dans l’immigration. Depuis le meeting du 16 octobre dernier, date du lancement du Front Populaire, un réel troisième pôle est en train de s’imposer face à l’hégémonie des deux autres pôles. L’ancrage populaire de ses militant.e.s, leurs présences dans tous les secteurs combatifs qu’il soient syndical tels que l’UGTT, l’Union de diplômés chômeurs, associatif tel que les avocats, les magistrats, le mouvement féministe, la Ligue des droits de l’Homme, tout cela a permis au FP.ror de rallier et d’enrichir les mobilisations sociales et politiques qui ne cessent de s’étendre dans le pays.

Doté d’une plateforme progressiste, anticapitaliste et démocratique, le FP.ror a réussi à être un acteur essentiel dans toutes les luttes déclenchées depuis des mois. Il contribue activement à la construction d’une dynamique mobilisatrice qui recentre les revendications populaires et démocratiques au cœur du débat politique et des mouvements sociaux. Il est inédit dans l’histoire de la gauche combative en Tunisie de se présenter en tant que forces posant sérieusement la question du pouvoir ! Nous ne sommes plus dans une dynamique défensive mais nous nous posons comme forces de contre-pouvoir. 

 

Quelles sont les possibilités réelles de lutte en Tunisie aujourd’hui? Et que peut apporter dans ce contexte le Forum social mondial ?

 

Aujourd’hui le processus révolutionnaire est plus réel. Toutes les conditions sont mûres pour intensifier la lutte et s’offrir une perspective politique et organisationnelle capable de mener à terme les revendications de la révolution depuis le 17 décembre 2010. Je pense que le front populaire et les autres expressions politiques et associatives combatives ont à jouer un rôle décisif dans une telle édification révolutionnaire.

Le prochain Forum social mondial (FSM) pourrait être un espace significatif d’enrichissement des luttes à venir en Tunisie pourvu que ce forum-ci ne soit pas un « ghetto » de militant.e.s auto-satisfait.e.s et bien pensants ! Que le FSM soit un véritable espace de convergences des luttes locales et régionales ! Qu’il soit le relai des combats menés tant au Nord qu’au Sud pour leurs offrir une perspective unie et radicale.

 

Anis Mansouri

Propos recueillis par notre rédaction