Le Conseil fédéral aux pays des merveilles

Vos fins de mois sont serrées et vous n’arrivez pas à vous payer le voyage à Disneyland dont vous rêviez ? Pas grave : téléchargez le message du Conseil fédéral sur l’initiative populaire sur les salaires minimums et lisez-le. Le dépaysement est garanti et vous vous trouverez, qui plus est gratuitement, « entre le pays des vœux et celui où les rêves se réalisent […] dans des contes de fées qui ne s’arrêtent jamais », comme le dit si bien le site du parc Disneyland de Paris.

Dès l’entrée en matière, on est tout de suite ailleurs : «?Le système de formation des salaires en Suisse est basé sur un partenariat social fort et responsable ». Roulement de tambours et coups de cymbale saluent ce partenariat si costaud et pétri de responsabilités qui a eu pour effet principal en matière de rémunération et en comparaison internationale, une « forte progression des hauts salaires », mais pas des autres. Seule une cruelle inadvertance peut expliquer ce résultat…

Mais au Département fédéral de l’économie et de la recherche – selon la nouvelle appellation – on cherche justement. Et que cherche-t-on ? Eh bien la bonne formule pour cacher, euh, « la crotte au félin » comme ils doivent dire chez Schneider-Ammann. Et voici ce que cela donne : « Tandis que la progression des hauts salaires et de la main-d’œuvre très qualifiée était supérieure à la moyenne, l’augmentation des salaires de la fourchette inférieure, comme ceux des ouvriers et des employés non qualifiés, était identique à celle des salaires moyens. En comparaison internationale aussi, cette évolution apparaît comme équilibrée ». On voit bien ce que Coluche aurait pu faire de cette fourchette inférieure (normal qu’ils bouffent moins, avec un ustensile pareil !) et on remarque le tour de force qui consiste à faire passer une inégalité sociale croissante pour une évolution équilibrée.

On ne s’étendra pas sur les petites mesquineries qui consistent à faire des comparaisons en euros, pour mieux faire briller les données en francs suisses et on entrera dans un nouveau domaine idyllique, celui des conventions collectives de travail (CCT). Sonnez, trompettes de la gloire et de l’enchantement : « Le système bien développé des CCT est la clé de voûte du partenariat social. […] Le taux de couverture des CCT est passé de 38 % en 2001 à 49 % en 2012 ». Ce n’est donc qu’une grossière erreur qui indique dans les tableaux en annexe que le taux d’évolution du degré de couverture des CCT entre 1990 et 2009 en Suisse est… nul (0,0).

Mais passons, puisque le message s’évertue, pour construire la féérie de son Heidiland social, à multiplier allègrement les catégories (travailleurs assujettis à des CCT, à des CCT prévoyant des dispositions normatives, assujettis à des CCT prévoyant des salaires minimums contraignants, etc.) et les périodes des références. Sans jamais s’interroger sur l’application – ni indiquer quoi que ce soit d’un peu réaliste à ce propos – de ces textes. Il s’agit juste de donner l’illusion que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, tout en s’auto-congratulant : « Les CCT font partie des éléments clés de la politique suisse du marché du travail, qui apparaît particulièrement libéral et flexible en comparaison internationale. Elles permettent de maintenir un faible degré de réglementation en matière de conditions de travail et rendent le marché suisse du travail très flexible par rapport à celui des autres pays ». On reviendra évidemment plus en détail, durant la campagne de votation, sur ce pays merveilleux ou la flexibilité du marché du travail et le libéralisme rencontrent le bonheur de la foule émerveillée des salarié·e·s.

 

Daniel Süri