Cowboys, «citoyens-soldats»

Cowboys, «citoyens-soldats» : Arrêtons les dégâts!

Afin décembre, au moment de la tuerie de Newtown aux Etats-Unis, on pouvait, effarés, assister au plaidoyer des représentants de la NRA (National Rifle Association), l’association qui se bat pour le droit au port d’arme. Pour eux, la quantité astronomique d’armes qui circulent aux USA n’est pas un problème. La question ce n’est pas l’arme, c’est de savoir si celui qui se trouve derrière est un « good guy » (un brave type). Si c’est un « bad guy », un sale type, la solution consiste à multiplier les « good guys » armés pour le neutraliser. Oubliant pour le coup que dans la vie réelle, il arrive aux braves types de devenir des assassins sans pitié.

Forts du sens civique inné qui irrigue notre armée de milice, on pouvait regarder avec ironie et consternation ces « cowboys » américains  persuadés de l’apport sécurisant de l’armement des maîtres d’école dans les salles de classe.

Et puis soudain surgit au cœur du Valais patriotique, à Daillon, un démenti cinglant. Trois femmes sont abattues et deux hommes blessés par un invalide psychique, marginalisé, dont un premier arsenal avait déjà été confisqué et qui détenait néanmoins deux mousquetons, un fusil de chasse à grenaille, une carabine à plomb, un pistolet airsoft et un pistolet d’alarme. Il avait aussi plusieurs dizaines de cartouches, des bandes de chargement pour mitrailleuse, des poignards et des baïonnettes. Tout sentiment de supériorité devant les balourdises de la NRA disparaît. Car nous avons nous aussi notre lobby des armes. C’est la Fédération suisse des sociétés de tir (FST) qui a coordonné la campagne contre l’initiative « Pour la protection face à la violence des armes », rejetée en votation populaire le 13 février 2011. Une initiative qui voulait que les armes militaires soient conservées dans les arsenaux et que les armes à feu figurent toutes dans un registre central. Bref, qui proposait enfin des mesures pour rendre beaucoup plus difficile la rencontre entre des pulsions meurtrières et une arme et ses munitions.

Parmi les contempteurs de cette initiative, on trouvait le divisionnaire Chevalley, qui lors de la conférence de presse du Conseil fédéral, énuméra toutes les mesures de précaution prises pour maintenir à moindre risque le lien presque sacré qui existe entre l’arme et le citoyen : «L’arme est l’expression du lien et de la confiance entre l’Etat et ses concitoyennes et concitoyens. Admettre que le militaire est un risque pour la sécurité du pays et le désarmer, alors qu’en dernier ressort, il devrait être prêt à engager sa vie pour ce pays constituerait une énorme rupture de confiance.?» Il aura fallu près d’une semaine pour apprendre, non pas par une source officielle mais par la presse dominicale (Blick et Matin), que le triple meurtrier de Daillon était non seulement un soldat, mais un officier, ancien commandant de compagnie. Un type qui avait donc passé avec succès tous les tests que l’armée met en place pour repérer les brebis galeuses et qu’énumère le divisionnaire Chevalley : lors du recrutement, analyse plus approfondies des risques effectuée auprès de détenteurs d’armes?; auditions de sécurité et analyses psychologiques?; évaluation du potentiel de violence de la personne recrutée. Le parcours jusqu’à la fonction de commandant de compagnie (capitaine) comprend en outre des évaluations successives lors de la formation des cadres. C’était donc un « good guy » par excellence. Devenu en quelque temps un « bad guy ». A la suite du reste d’une rupture psychologique, d’une cassure majeure, peut-être liée à un bizutage lors de sa promotion au grade de capitaine. 

Et c’est justement le caractère souvent imprévisible, largement imprédictible de ces passages à l’acte qui rend nécessaire de multiplier les mesures rendant objectivement impossible le recours à des armes de guerre. L’enquête dira comment le meurtrier s’est procuré son nouvel arsenal : marché noir, complicités ou achat dans un autre canton, les registres n’étant pas suffisamment coordonnés entre eux. 

Cependant le chemin vers une démilitarisation de la citoyenneté en Suisse reste long. À peine une semaine après la fusillade de Daillon, la Commission de politique de sécurité du Conseil national (CPS), après avoir constaté que les cantons traînaient les pieds, vient de relancer la mise en réseau des registres cantonaux des armes  qui permettrait de savoir enfin sur tout le territoire qui détient des armes et surtout, qui n’a pas le droit d’en détenir.

Mais en même temps, la CPS a refusé d’obliger les détenteurs d’annoncer les anciennes armes de service en leur possession (comme le mousqueton du tueur de Daillon). Et surtout, la CPS a refusé de supprimer les tirs militaires obligatoires, rituel patriotique d’un autre âge dont la principale fonction est de remplir les caisses des sociétés de tir, nos NRA à nous.

 

Tobia Schnebli