Impressions de Gaza

Noam Chomsky, linguiste et philosophe, mais aussi militant anti-impérialiste, était en visite à Gaza du 25 au 30 octobre 2012. Il en a rapporté analyses et impressions de la vie quotidienne « normale » dans la plus grande prison à ciel ouvert de la planète. En voici quelques extraits.

Même une seule nuit en prison suffit à donner une idée de ce que veut dire le fait de se trouver sous le contrôle absolu de la même force extérieure. Et il faut à peine plus d’une journée à Gaza pour commencer à comprendre ce à quoi doit ressembler le fait de tenter de survivre dans la plus grande prison en plein air du monde. Où un million et demi de personnes, dans la région la plus densément peuplée du monde, sont constamment soumises à la terreur générale, souvent sauvage et aux châtiments arbitraires qui n’ont souvent pour but que d’humilier et avilir, ainsi que de faire en sorte que les espoirs palestiniens d’un avenir décent soient anéantis et que soit réduit à zéro le soutien mondial majoritairement favorable à un arrangement diplomatique censé accorder ces droits. […]

 

Une pression difficile à supporter

Mon impression initiale, après une visite de plusieurs jours, fut l’étonnement, non seulement devant cette capacité de continuer à vivre, mais aussi devant l’allant et la vitalité dont faisaient preuve les jeunes, particulièrement à l’Université, où je passai une bonne partie de mon temps dans une conférence internationale. Mais, là aussi, on peut détecter des signes de ce que la pression peut devenir trop pénible à supporter. Des rapports révèlent que, parmi les jeunes, il y a une frustration qui couve, une prise de conscience de ce que, sous l’occupation israélienne, l’avenir n’a rien à leur offrir. Il n’y a que ce que des animaux en cage peuvent endurer et il peut y avoir une éruption, susceptible de revêtir des formes repoussantes – offrant ainsi une occasion aux apologistes israéliens et occidentaux de condamner hypocritement des gens qui sont culturellement arriérés, comme l’a expliqué, avec toute sa perspicacité, Mitt Romney.

Gaza a l’aspect d’une société typique du Tiers monde, avec des poches de prospérité entourée d’une pauvreté affreuse. Elle n’est toutefois pas « sous-développée ». Elle a plutôt été « dé-développée », et de façon très systématique, en plus, pour emprunter la terminologie de Sara Roy, la principale spécialiste universitaire à propos de Gaza. La bande de Gaza aurait pu être une région méditerranéenne prospère, avec une agriculture riche et une industrie florissante de la pêche, des plages merveilleuses et, comme on l’a découvert voici une décennie, des bonnes perspectives concernant les larges réserves de gaz naturel qui se trouvent sous ses eaux territoriales.

Coïncidence ou pas, c’est à ce moment qu’Israël a intensifié son blocus, refoulant les bateaux de pêche vers le littoral, les confinant actuellement à trois miles nautiques et moins. […]
Depuis l’intérieur d’un hôtel à proximité du littoral, on peut entendre les tirs de mitrailleuse des canonnières israéliennes repoussant les pêcheurs des eaux territoriales de Gaza vers le littoral, de sorte qu’ils soient forcés de pêcher dans des eaux lourdement polluées du fait que les Américains et les Israéliens refusent d’autoriser la reconstruction des sites de traitement des déchets et des systèmes de production d’électricité qu’ils ont détruits.

 

«Mettre les Palestiniens au régime»

Les accords d’Oslo ont établi les plans de deux sites de désalinisation, une nécessité, dans cette région aride. L’un, une installation de pointe, fut construit… en Israël. Le second est à Khan Yunis, dans le sud de Gaza. L’ingénieur chargé d’essayer d’obtenir de l’eau potable pour la population a expliqué que cette installation avait été conçue de telle façon qu’elle ne pouvait utiliser l’eau de mer, mais qu’elle devait travailler avec l’eau de la nappe phréatique, un processus moins onéreux, qui continue à dégrader la nappe aquifère déjà réduite, ce qui promet de graves problèmes pour l’avenir. Même avec cette installation, l’eau est sévèrement rationnée. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés (UNRWA), qui s’occupe des réfugiés (mais pas des autres Gazaouis), a publié récemment un rapport prévenant que les dégâts à la nappe aquifère pourraient très bientôt devenir «irréversibles» et que, si on n’entamait pas d’urgence des actions réparatrices, Gaza pourrait ne plus être un «endroit vivable» en 2020.

Israël autorise l’utilisation du béton dans les projets de l’UNRWA, mais pas pour les Gazaouis qui font face à d’énormes besoins de reconstruction. Les équipements lourds, déjà limités, traînent généralement sur place sans pouvoir être utilisés, puisqu’Israël n’autorise pas l’entrée de matériaux de réparation. Tout cela fait partie du programme général décrit par le haut fonctionnaire israélien Dov Weisglass, qui fut le conseiller du premier ministre Ehud Olmert, après que les Palestiniens ne se conformèrent pas aux ordres lors des élections de 2006 : «L’idée», disait Weisglass, «consiste à mettre les Palestiniens au régime, mais pas de les laisser mourir de faim. » Cela aurait fait mauvais genre. […]

De ce régime forcé, fait remarquer Juan Cole, spécialiste du Moyen-Orient, «il résulte qu’environ dix pour cent des enfants palestiniens de moins de cinq ans ont leur croissance retardée par la malnutrition (…). De plus, l’anémie est très répandue, affectant plus de deux tiers des enfants, 58,6% des enfants qui vont à l’école et plus d’un tiers des femmes enceintes.» Les États-Unis et Israël veulent faire en sorte que rien au-delà de la simple survie ne soit possible. 

 

Traduction de Jean-Marie Flémal

www.pourlapalestine.be

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