Halte à la spéculation sur les matières premières agricoles!

A l’occasion de la 10e rencontre de Global Grain qui s’est tenue à Genève du 13 au 15 novembre, le Collectif contre le trading des produits agricoles?* a organisé une manifestation sur le pont de l’Ile pour dénoncer ce nouveau sommet mondial des spéculateurs qui cherchent à optimiser leurs profits dans ce négoce, particulièrement florissant à Genève.


Avec la globalisation des marchés, la mondialisation financière et la fin de la centralisation des ordres de bourse depuis quelques années, le négoce (trading) s’est accru au rythme des nouveaux outils de la finance spéculative, et surtout de l’informatisation des ordres d’achat et de vente. A l’aide de formules mathématiques sophistiquées (algorithmes) que s’arrachent les grands acteurs de la finance, les traders peuvent gagner beaucoup et très vite. Aux USA, plus des 2/3 des opérations financières sont de ce type et en Europe, elles en constituent la moitié : avec des ordres passés en millisecondes, l’explosion du trading à haute fréquence accentue la déconnexion complète de la finance avec le commerce réel, déjà très inégal entre le Nord et le Sud. Ces dernières années, les ordres d’achat et de vente ont été surmultipliés, avec d’innombrables interventions de spéculateurs anonymes, avec plus d’une quarantaine d’opérations spéculatives pour chaque produit entre la mise sur le marché et sa livraison. Sur le marché des matières premières agricoles, l’argent investi est passé de 15 milliards en 2003 à plus de 200 milliards de dollars en 2008 (enquête du Sénat américain), de plus en plus souvent hors du contrôle boursier, dans des échanges OTC (« sous le comptoir »).

 

«La spéculation génère (…)inexorablement une hausses de prix»
(FAO 2011)

Selon Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial auprès de l’ONU sur le droit à l’alimentation, «seuls 2% des contrats à terme portant sur des matières premières aboutissent effectivement à la livraison d’une marchandise, les 98% restant sont revendus par les spéculateurs avant leur date d’expiration.» (Monde diplomatique, février 2012). Des gains et des pertes gigantesques sont ainsi entre les mains des nouveaux aventuriers de la finance et du négoce, le plus souvent au détriment des producteurs. Les conséquences majeures sont l’extrême volatilité des cours des marchandises sur le marché, l’opacité totale du système, l’impossible contrôle des autorités de surveillance des marchés, une frontière invisible entre la pratique licite, les manipulations et la fraude, enfin, l’accumulation de flash crash (crises boursières « éclair »). Par exemple, le 6 mai 2010, l’indice Dow Jones a perdu 10 % (mille milliards de dollars !) en quelques minutes, à la suite d’une manœuvre informatique engendrée par cette nouvelle forme de trading. Le cataclysme mondial a été évité de justesse par une interruption de la bourse pendant un quart d’heure ! En 2011, plusieurs autres évènements de ce type ont eu lieu. Avec une expansion rapide de ce type de négoce dans le secteur des matières premières, la spéculation s’est amplifiée, déstabilisant ainsi gravement les cours des produits alimentaires. 

 

Genève, au cœur de cette spéculation

Genève s’est spécialisée dans ce type d’activités : leader mondial dans le trading des céréales et des huiles végétales, en tête, à égalité avec Londres, pour le sucre, et numéro un en Europe pour le coton. Le réseau genevois, très dense, implique de nombreuses banques multinationales comme HSBC, BNP Paribas, Crédit Agricole, Credit Suisse, UBS, mais aussi la Banque Cantonale. Ce support financier indispensable est un atout majeur pour garantir les opérations des traders à Genève. Ainsi, la place financière genevoise, avec l’appui du Conseil d’Etat, joue au casino dans la cour des grands, sans se soucier des répercussions sur l’avenir de la planète, sur les problèmes d’accès à la nourriture et encore moins de la justice sociale !

 

Une initiative contre cette spéculation

La JS (Jeunesse socialiste suisse) a lancé fin septembre l’initiative fédérale « Stop à la spéculation » (stopspeculation.ch), avec l’appui en particulier du PSS, des Verts, d’Uniterre, de Solidar et de Swissaid dans son comité d’initiative, pour interdire les investissements dans des instruments financiers qui se rapportent à des matières premières agricoles et des denrées alimentaires, tout en maintenant les contrats à terme qui garantissent les prix fixés et les délais entre les producteurs et les commerçants. Le texte vise une modification de la Constitution fédérale avec une formulation précise (art 98a nouveau). Nous devons soutenir cette initiative qui favorisera effectivement la lutte contre cette spéculation délétère, «forme la plus extrême de la recherche du profit» selon l’argumentaire.

 

L’antiSommet mondial des matières premières

Une deuxième édition du Sommet mondial des matières premières, organisée par le Financial Times, aura lieu à Lausanne du 15 au 17 avril 2013, Hôtel Beau Rivage, réunissant «le gratin du secteur». Un large groupe d’action est invité à se constituer, avec l’appui d’Attac et du Tour de Lorraine (13e manifestation annuelle sur ce thème le 19 janvier 2013). Un premier rendez-vous est pris le samedi 8 décembre 2012 à Pôle Sud, Jean-Jacques Mercier 3, à Lausanne, afin de discuter des revendications et du plan d’action contre ce forum économique mondial des revendeurs de matières premières. Notre mouvement doit être partie prenante de cette nouvelle occasion de dénoncer et de lutter contre le rôle de la Suisse dans le marché spéculatif des matières premières, avec ses dégâts sociaux et environnementaux.

 

Gilles Godinat.