Cap sur la privatisation au CHUV

Le « low cost » est à la mode, pas seulement dans le transport aérien et le commerce de détail. Tant qu’à faire de la santé un marché, pourquoi ne pas adopter ces pratiques de vente aux hôpitaux ? C’est ce qu’ont dû se dire les concepteurs du nouveau centre opératoire de la Fondation de l’hôpital orthopédique.

 

Face à l’hôpital de Beaumont, il est désormais prévu d’ouvrir un centre de six salles d’opération. Ces salles, où seront pratiquées des interventions plus ou moins légères en ambulatoire, devront décharger les salles du CHUV, conçues pour une chirurgie lourde. Patient·e·s, personnel et médecins du CHUV y seront accueillis.

 

 

« Industrialiser l’environnement du patient »

Jusque-là, tout baigne. Cela se gâte à l’étape suivante, lorsque l’on apprend que la gestion du centre sera confiée à la société privée MV Santé et qu’un objectif de diminution de 30 % des coûts est annoncé. Administrée par un médecin et un ingénieur, Vincent Merz et M. Vuckovic, MV santé fait partie d’un réseau de 9 sociétés privées actives dans le domaine de la santé, dont trois sises à Genève.

     Alerté par ces informations, Jean-Michel Dolivo, député de La Gauche et membre de solidaritéS, a mené une brève enquête, qui lui a fait découvrir comment M. Vuckovic se représentait le fonctionnement de ce centre opératoire. En effet, interrogé par le conseiller d’Etat genevois M. Unger, il précisait : «Pour que la situation devienne rentable, il est nécessaire que 11000 interventions soient pratiquées entre les divers centres (de MV Santé). Afin de pouvoir être le plus rentable possible, tout en pratiquant les tarifs Tarmed, plusieurs mesures ont été prises: l’administration est lourde (environ 1000 factures par mois), mais seules quatre personnes s’en occupent; les centres n’ont pas de réception, tout ce qui n’est pas indispensable est éliminé. Il ajoute que tout cela n’est possible que par l’instauration d’une routine. Les personnes sont habituées à travailler selon des procédures définies et précises. Ainsi, le médecin, lorsqu’il vient, ne perd pas de temps, son passage est réduit d’un facteur deux[…].Enfin, M. Vuckovic souligne que l’idée de base a été de se spécialiser afin d’industrialiser l’environnement du patient.»

 

L’innovation de l’hôtel hospitalier

Le fait qu’hôtel et hôpital aient la même origine semble avoir stimulé l’imagination économique d’une autre société privée, qui se propose de créer un hôtel hospitalier, chargé de réceptionner les patient·e·s ne présentant pas de complications apparentes après une opération subie au CHUV. L’hôtel sera accessible au personnel hospitalier par une passerelle, puisque l’endroit n’emploiera pas de personnel soignant, mais uniquement hôtelier. Comme les sommeliers ne sont pas (encore ?) autorisés à faire des injections, il fallait bien trouver cet escalier de secours… Rassurons toutefois tout le monde : cette société est gérée par des vrais professionnels zurichois, actifs dans des domaines comme l’informatique, l’imagerie téléphonique, les logiciels et les services dans l’aviation. De la compétence hôtelière et hospitalière à l’état pur !

     Dans ce cadre, Jean-Michel Dolivo a déposé une interpellation adressant au Conseil d’Etat une série de six questions portant :

 sur la garantie de la qualité des soins dans l’établissement MV Santé Clinique Beaumont, au vu de l’industrialisation des procédures et de la réduction de moitié du temps de présence du médecin ;

 sur les conditions de travail du personnel du centre opératoire et son statut (soumis à la Loi sur le personnel cantonal ou non ?) ;

 sur la qualité des soins et les conditions de travail dans une entreprise privilégiant le profit comme l’hôtel hospitalier Reliva Patientenhotel ;

 sur le contrôle que le Grand Conseil pourra exercer sur ces deux sociétés ;

 et enfin sur la portée de ces projets : sont-ils les signes avant-coureurs d’un recours systématique à la privatisation dans les hôpitaux publics du canton ?

 

Daniel Süri