Union européenne

Union européenne : Prix tartuffe de la paix

Il a fait fort, cette année, le Comité du Prix Nobel de la paix, en choisissant l’Union européenne (UE) comme lauréate. Certes, il y a eu des précédents aussi sinon plus choquants, comme l’attribution à Henry Kissinger ou celle, plus récente, à Barack Obama. Mais tout de même, expliquer gravement que l’UE a « contribué pendant plus de six décennies à promouvoir la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe » relève de la malhonnêteté intellectuelle la plus crasse.


 Bien sûr, il n’a pas manqué de belles âmes faisant remarquer, pour justifier ce prix, que depuis 1940, les Panzers n’avaient plus traversé la Meuse pour mener une nouvelle bataille de France. Mais des Panzers et des Panzergrenadiere de la Bundeswehr, il y en a en Afghanistan et même des chars lourds Leopard loués à l’armée canadienne. D’autres armées européennes ont prêté main-forte à l’œuvre notablement pacificatrice de l’Occident dans la région : la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, le Danemark, etc. Et tout le monde sait qu’après le retrait de ces forces, la paix, l’harmonie et le bonheur régneront sans nuages dans ce pays. Qui risque de se retrouver dans une situation similaire à celle précédant l’intervention américaine de 2001, avec plus de 10 000 civils tués entretemps, chiffre auquel s’ajoutent plus de 2000 morts parmi les soldats de la coalition. Les pertes des talibans ne sont pas comprises dans ces chiffres. Quant aux centaines de milliers de réfugié·e·s afghan·e·s, ils ont dû échapper à l’attention de nos faiseurs de paix norvégiens.

Le journal Le Monde, qui s’est félicité tant et plus de l’attribution de ce prix à l’UE, a aussi relevé, par le biais de sa correspondante diplomatique, que « personne ne peut la soupçonner [l’UE] d’avoir des appétits de domination ou de captation des ressources » (19.10.2012). Ben voyons. L’intervention franco-britannique en Lybie n’avait strictement rien à voir avec une quelconque odeur de pétrole. Plus pertinent sur la question, le Bureau international de la paix souligne pour sa part que les membres de l’UE ont participé ces dernières années, collectivement ou de manière séparée, aux conflits les plus sanglants de l’époque. Avec beaucoup de souffle, la correspondante diplomatique du Monde affirme ensuite que l’Europe n’a pas envahi l’Irak. Faut-il supposer que les troupes britanniques, espagnoles, italiennes, polonaises et hollandaises étaient en voyage d’études et que la participation de la France et de la Grande-Bretagne à la Deuxième guerre du Golfe (1991) relevait de la figuration ? Et surtout, faut-il se féliciter, au nom de la population irakienne, des résultats ainsi obtenus ?

Marchands d’armes par pacifisme ?

En faisant d’Obama un lauréat un an après son élection, le Comité du Prix Nobel n’a pas craint de décerner un brevet de pacifisme à la première nation productrice d’armements. En désignant l’Europe, elle félicite la deuxième. En 2009, les USA comptaient 45 firmes d’armements, totalisant un chiffre d’affaires de 247,2 milliards de dollars?; l’Europe occidentale, elle, en réunissait 33, avec un total de 102 milliards. Cet austère pacifisme aurait encore été plus triomphal si la fusion prévue entre l’européen continental EADS et le britannique BAe avait abouti : on aurait eu alors le numéro un mondial de l’armement, industrie dont chacun sait qu’elle ne déteste rien de plus que l’on utilise sa production.

On glose beaucoup, et à juste titre, sur les dépenses d’armements de la Chine, signe de nouvelles ambitions régionales. En 2010, les dépenses militaires estimées de cet Etat étaient de 120 milliards de dollars environ. Loin, très loin des Etats-Unis, mais devant tous les autres pays. Sauf que l’Union européenne n’y figure pas en tant que telle, mais pays par pays. Ouf, l’honneur est sauf. Encore que : le troisième et le quatrième pays étant le Royaume-Uni et la France, l’Allemagne figurant au huitième rang et l’Italie au dixième. On arrive à un total de dépenses militaires de 201,1 milliards?; si l’on prend en compte tous les autres pays de l’Union, on dépasse les 250 milliards de dollars. En stricte application de l’article 42-6 du Traité de Lisbonne qui demande aux Etats membres de l’Union « d’améliorer leurs capacités militaires » en vue du renforcement des moyens militaires « à disposition de l’Union européenne et de ses opérations ».

On évoque souvent dans ces cas-là l’adage romain « Si vis pacem, para bellum » (si tu veux la paix, prépare la guerre). L’histoire a depuis largement démontré dans la réalité que « si tu veux mener des guerres, dis que tu prépares la paix ».

 

Daniel Süri

  


L’Europe, exemple de démocratie

Est-ce l’inhalation du parfum de la dynamite – dont la production est à l’origine de la fortune de la famille Nobel – qui rend ainsi oublieux et amnésique ? En tout cas, en ajoutant la démocratie et les droits humains dans les mérites du récipiendaire, le jury du prix Nobel a eu de curieux trous de mémoire. Le déficit de démocratie de l’Europe est ce qui s’ajoute à sa politique néo-libérale pour lui ôter sa légitimité auprès des peuples européens. Ces derniers se souviennent que les référendums de 2005 (France et Pays-Bas) et de 2008 (Irlande) ont été considérés comme nuls et non avenus par ce monument de démocratie qu’est l’UE. Et pour les droits humains en Europe, il faudra en parler aux Roms, aux réfugié·e·s et aux requérant·e·s d’asile qui se heurtent aux murailles de l’Europe forteresse. Dont les coûts explosent (en particulier le Fonds pour les frontières extérieures et l’Agence Frontex de protection des frontières) et par contrecoup la participation financière de la Suisse. Inhumaine, la forteresse coûte cher. DS