Wells par Wells: la machine à explorer le temps

Wells par Wells: la machine à explorer le temps


Après La planète des singes, un autre grand classique de la littérature et du cinéma de science-fiction est remis à neuf et porté au standard des effets spéciaux numériques: il s’agit de La machine à explorer le temps. Ce célèbre roman d’Herbert G. Wells, écrit en 1895, avait déjà donné une adaptation assez fidèle de George Pal pour la MGM, en 1960. Les libertés prises par Simon Wells (le petit-fils de l’écrivain), qui signe cette nouvelle version de la Warner Bros, loin d’amener une nouvelle fraîcheur, ne font que vider d’une bonne partie de son sens le récit original.



Un roman et deux adaptations cinématographiques, trois étapes qui façonnent différemment une même histoire et qui donnent l’occasion de se questionner sur ce qui fait sens par rapport au futur, à la science et à l’humain en 1895, 1960 et 2002.



Un scientifique new-yorkais de la fin du XIXème siècle, désordonné, timide et distrait, mais génial, vivant avec une gouvernante qui le materne –personnage qui colle parfaitement au cliché du savant– invente une formidable machine qui lui permet de voyager dans le temps. Si H.G. Wells présente cette invention comme le résultat de l’engouement scientifique de la Londres victorienne, à cheval entre deux siècles et consciente d’entrer dans une ère nouvelle, son petit-fils invente une historiette qui cherche avant tout à humaniser son savant de personnage. Car ce dernier réalise la machine pour tenter de changer le cours des évènements qui ont causé la mort de sa fiancée. Cette tentative échoue, puisque si le héros parvient à empêcher l’assassinat de la belle, ce n’est que pour la voir mourir écrasée accidentellement sous un carrosse.

«On est allé trop loin»

Autrement dit, la technologie aussi sophistiquée soit-elle ne peut en aucune manière intervenir sur le sort d’un être humain. C’est donc seulement après avoir constaté l’impossibilité de modifier le destin qu’il dirige son appareil vers le futur. Après un arrêt en cours de la route du temps, où il assiste à la destruction de la civilisation terrestre, vers 2030, il aboutit à l’année 802701. A cette époque, les survivants ont donné naissance à deux espèces. D’un côté, les horribles Morlocks, aux traits peu humains qui vivent sous-terre grâce à une machinerie complexe, et de l’autre les pacifiques Elois, qui sont les «réserves alimentaires» des premiers. Dans son adaptation de 1960, Pal expliquait la disparition de la civilisation actuelle par une guerre nucléaire, ce qui était plutôt logique en période de guerre froide. Simon Wells rejète complètement l’idée de conflit (pourtant présente aussi chez grand-papa) et imagine une Terre dévastée par la chute de morceaux de lune. Le satellite n’ayant pas résisté aux explosions servant à créer dans ses entrailles une immense caverne destinée à devenir un parc d’attractions. «On est allé trop loin», c’est ainsi que le film explique la fin de notre civilisation.

L’autoémancipation ou le sauveur hollywoodien


Le film pèche d’une suite d’incongruités qui lui viennent d’une indécision flagrante entre l’adaptation stricte et une ré-interprétation plus libre du roman. Prise entre ces deux logiques, l’histoire en sort bien affaiblie et perd beaucoup de sa philosophie originale. Morlocks et Elois ne sont plus les deux facettes de l’humanité soumises à une séparation à la Dr Jekyll et Mr Hyde; les deux, à leur manière, monstrueuses car privées des caractéristiques fondamentales présentes chez l’autre. Si chez H. G. Wells et Pal les Elois ne sont humains qu’en apparence et vivent comme du bétail complètement dépossédé de conscience, chez Simon Wells ils sont devenus une sorte de tribu d’Indios amazoniens, dotés de culture et de langage. Quant aux Morlocks, ils gagnent en bestialité collective, mais se retrouvent avec un chef pensant dans la plus pure tradition du méchant maléfique hollywoodien. Dans le roman et dans la précédente version cinématographique, la déshumanisation des Morlocks passe certes par leur aspect physique mais encore plus par leur mode de vie: enterrés, vivant à l’ombre, s’agitant autour de machineries bruyantes caricature à peine forcée des usines de la fin du XIXe siècle. Alors que les Elois avaient l’apparence physique du parfait Blanc: habillés de tuniques claires, blonds aux yeux bleus, sans aucune activité productive ou culturelle, ils et elles végètent sans aucune conscience de leur être. Caricatures cette fois des masses consuméristes aliénées.



La solution dans le film de Pal est donnée par une prise de conscience des Elois, qui stimulés par le savant vont se révolter. Simon Wells casse cette dichotomie centrale dans la symbolique du récit: dans sa version les Elois ont des activités, des souvenirs du passé lointain et construisent des habitations insolites dans des rochers. Terrorisés par les Morlocks, ils ne sont pas aliénés. Lorsque les Elois sont chassés par leurs prédateurs, ils tentent de s’échapper. Ils ne se révoltent jamais et seront libérés grâce à la seule intervention du savant. Chez Pal, un signal sonore particulier suffit à les diriger dans les cavernes des Morlocks, mais une fois pris il seront le moteur principal de leur propre libération.



Gianni HAVER