Littérature policière

Littérature policière : Le labyrinthe grec

 

Imaginez un polar, écrit il y près de dix ans, où une « Organisation nationale des Grecs Philippe-de-Macédoine » dit avoir condamné à mort un entrepreneur « parce qu’il n’employait pour ses travaux en Grèce que des travailleurs étrangers: des Albanais, des Bulgares, des Serbes, des Roumains, ainsi que de nombreux Africains et Asiates ». Il y aurait là comme une anticipation à peine forcée de la situation actuelle, non ?

 

     Imaginez en plus que l’enquête soit confiée à un commissaire ronchon, revenu d’un peu tout, s’obstinant à rouler dans une Fiat Mara­fiori hors d’âge et trouvant son délassement dans la consultation des dictionnaires. Ben voilà, vous êtes dans l’univers du commissaire Kostas Charitos, personnage principal des romans policiers de Petros Markaris. Mais méfiez-vous de cette piste de l’Organisation nationale des Grecs Philippe-de-Macédoine. Les premiers indices trouvés par Charitos le mènent souvent dans des impasses. La réalité est toujours plus compliquée que l’évidence.

     Surtout en Grèce, pays dont l’histoire nationale récente n’est pas avare de périodes violentes, qui ont laissé leurs traces et nourri bien des ambiguïtés biographiques. Charitos, par exemple, est rentré dans la police grecque sous la dictature des colonels. Il a commencé par faire ses classes comme geôlier à la prison de la Bouboulina. Pas loin du siège de l’ESA, la police militaire, où l’on torturait les opposants. Comme l’ancien résistant et communiste Lambros Zissis, que Charitos essaiera de traiter humainement. De là une relation inhabituelle, faite de respect mutuel. Régulièrement, Zissis réapparaît dans les enquêtes de Charitos. Cette espèce d’archiviste officieux de l’histoire politique grecque a ses réseaux et ses dossiers.

     Car la politique n’est jamais absente des romans policiers de Petros Makaris. Le fait divers ouvre sur un labyrinthe de relations où actualité et histoire se répondent, sur fond de corruption, de trafic d’influence, de grands travaux pour les Jeux olympiques d’Athènes, d’immigration clandestine, etc. Sans oublier l’omniprésence des médias. Charitos les déteste cordialement. Surtout « l’aquarium », la télé. Que sa femme Adriani regarde bien trop souvent. Et avec laquelle il s’engueule périodiquement, avant que la fâcherie ne s’efface, quelques jours plus tard, devant un plat de tomates farcies.

     Il n’y a pas que des tomates farcies dans les polars de Markaris. Il y a aussi des souvlakis, ces brochettes. Et même, une fois, des aubergines que les Turcs appellent « de l’imam évanoui » (imam bayildi). Un indice ? Une des enquêtes de Charitos le mène sur les traces de « L’empoisonneuse d’Instanbul ». Facile ? Méfiez-vous : les premières pistes sont toujours trompeuses chez Markaris.

DS 


 Les romans de Petros Markaris ont été publiés pour la plupart au Seuil, certains en édition de poche (Points policiers ou Livre de Poche). P. Markaris est aussi le scénariste de plusieurs films de Théo Angelopoulos.