France

France : Il a une drôle de gueule, le changement

Que ce soit sur le plan intérieur ou au niveau européen, François Hollande et son Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, n’auront pas donné le change longtemps. Certes, austérité et rigueur ne font toujours pas partie des « éléments de langage » du nouveau gouvernement, qui vient de recueillir la confiance de l’Assemblée nationale. Mais l’absence du mot n’est pas l’absence de la chose. Et malgré une presse qui ne prend même plus le temps de lire les accords avant de les commenter, le dernier sommet européen de fin juin à Bruxelles n’a pas amorcé de tournant véritable. Il a même vu fondre trois promesses électorales de Hollande. Il avait dit vouloir renégocier de manière substantielle le Pacte budgétaire. A ses yeux il devait au moins comporter d’une part la possibilité pour la Banque centrale européenne (BCE) de financer directement les Etats, d’autre part la mise en place d’euro-obligations, et enfin des mesures de relance et de croissance. Zéro sur toute la ligne.

 

     Ce sera le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui interviendra pour réduire la pression sur les Etats. Comme le MES n’a pas de trésorerie propre, ce sont les Etats qui emprunteront pour le financer. Où ? Sur les marchés, pardi ! Un mécanisme de socialisation des dettes bancaires privées dont un commentateur de la néolibérale Frankfurter Allgemeine Zeitung (30.6.2012) a dit qu’il n’existait jusqu’alors que dans les manuels marxistes…

     Et les pays qui recourront à l’aide du MES (aujourd’hui Fonds européen de stabilité financière), comme l’Espagne et l’Italie prochainement, devront signer eux aussi un mémorandum de soumission aux exigences de la Troïka (FMI, BCE, FMI). Les euro-­obligations attendront encore. Quant au pacte pour la croissance, il est composé pour moitié de sommes déjà votées et pour l’autre moitié de prêts hypothétiques de la Banque européenne d’investissement pour de « grands projets » d’investisseurs privés dont personne n’a encore vu la couleur.

A tête reposée, la droite se dit que finalement, la prétendue défaite d’Angela Merkel à Bruxelles n’était peut-être qu’une victoire habilement déguisée (Le Figaro, 2.7.2012). Dernière promesse hollandaise sur ce point : il avait précisé que «les Français auraient le choix» sur le Pacte. Aujourd’hui, c’est une ratification « rapide » du Parlement qu’il souhaite et non plus une consultation populaire.

   Sur le plan interne, le salaire minimum (le SMIC) aura été généreusement augmenté de 0,6 % (puisque les 1,4 % restant ne sont qu’une anticipation sur l’adaptation au renchérissement due au 1er janvier 2013). Les lettres de cadrage envoyées par le Premier ministre aux ministères parlent un langage plus brutal que ses circonvolutions sur le redressement dans la justice devant l’Assemblée nationale. La baisse des effectifs de la fonction publique se poursuivra, à un rythme de 3 000 postes par an, fournis principalement par les ministères non protégés (Education, Justice et Intérieur). Comme l’explique Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’Etat : «Le changement radical par rapport au gouvernement précédent, c’est le refus des suppressions aveugles de postes.» (Le Monde, 2.7.2012, nous soulignons) Le gel des salaires de la fonction publique risque fort de ne pas être levé. Surtout, le rythme d’assainissement de la dette choisi par Hollande (déficit de 3 % du PIB en 2013 et de 0 % en 2017) représente plus du double de celui de l’Allemagne entre 2003 et 2007, période d’une régression sociale majeure outre-Rhin. Cela à condition que la « croissance » soit au rendez-vous. Plus faible que prévue, elle transformera cette option budgétaire en une politique récessive, amenant la France dans une situation similaire à celle de l’Espagne ou de l’Italie. Et comme la France est le principal partenaire commercial de l’Allemagne, la récession deviendra inévitablement européenne. L’homme du «changement, c’est maintenant» n’a rien changé. C’est toujours aux peuples de payer l’ardoise de la crise de l’euro et du système capitaliste. Hollande rejoint ici ses camarades sociaux-libéraux allemands, qui avec les Verts ont apporté à Angela Merkel les voix qui lui manquaient pour faire adopter par le Bundestag, à une majorité des deux tiers, le Pacte budgétaire euro­péen.

 

Daniel Süri