Municipalité de Lausanne: vers une interdiction de la mendicité

L’an dernier, les radicaux-libéraux lausannois cherchaient à voler à l’UDC la palme de la surenchère sécuritaire et xénophobe au moment des élections communales, en faisant aboutir une initiative populaire visant à interdire une supposée « mendicité par métier ». Aujourd’hui, la Municipalité de Lausanne propose un contre-projet qui reprend très largement les conceptions anti-mendicité de la droite et de l’extrême droite. Nous publions ici une tribune des quatre élus de solidaritéS au Conseil communal, qui dénoncent le contenu de l’initiative PLR et du contre-projet porté par la majorité PS-Verts-POP.

 

La droite lausannoise a le sourire : le contre-projet rendu public par la Municipalité contribue en effet à légitimer l’idée selon laquelle la mendicité serait un grave problème et une source de nuisances insupportables pour les habitants de Lausanne. Une telle légitimation des idées de la droite ne peut que renforcer les chances de succès de l’initiative radicale-libérale, puisqu’en matière de surenchère démagogique, les électeurs préfèrent souvent l’original à la copie. Comme le souligne le 24 Heures du 14 juin dernier: « Auteur de la première initiative visant la mendicité, Mathieu Blanc se réjouit du pas franchi par les autorités lausannoises. “Le texte de la Municipalité est assez proche du nôtre”». Le contre-projet proposé par la Ville n’est d’ailleurs pas la première concession idéologique de la Municipalité à la droite sur la thématique xénophobe. Ainsi, il y a quelques mois, le syndic Daniel Brélaz avait soutenu dans la presse, après avoir constaté quelques saletés laissées par 200 personnes qui avaient stationné leur caravane quelques jours au Chalet-à-Gobet : « Avec les gitans, c’est inévitable. C’est dans leurs mœurs. Un trait de caractère profond. » Le tournant sécuritaire du PS et des Verts s’est aussi manifesté en avril dernier, lorsque la majorité de leurs élus au Conseil communal ont accepté un postulat de la droite demandant à ce que la police puisse interdire des portions du territoire lausannois, pour une durée de trois mois, « aux mendiants, aux dealers » et à toute autre personne qui « crée un trouble à l’ordre public en raison de son comportement ».

  

Pâle copie

La soixantaine de personnes qui mendient à Lausanne viennent majoritairement de Roumanie, ne sont pas organisées et sont de passage pour un temps bref, poussées par une extrême pauvreté et les discriminations dont elles sont victimes depuis des décennies dans leur propre pays. La mendicité est un mode de survie transitoire pour ces personnes, l’objectif étant de trouver un emploi. Cette population ne pose pas de problèmes d’ordre public, comme l’a récemment démontré une étude universitaire lausannoise.

     Mais manifestement, ce n’est pas l’avis de la Municipalité. Le contre-projet qu’elle défend s’appliquerait à tous les mendiants, et serait donc, à l’en croire, bien plus efficace que l’initiative, qui ne vise qu’un groupe particulier. Le texte dresse la liste des situations où la mendicité serait purement et simplement interdite, à tel point qu’il est difficile d’en trouver une où elle resterait encore autorisée… Ainsi, la mendicité serait interdite si pratiquée de manière insistante, en déambulant ou en prenant à partie les passants dans les transports publics, aux arrêts de bus et de métro, dans les marchés, à l’intérieur des magasins, des commerces, cinémas, théâtres, musées, administrations établissements publics, ainsi qu’à moins de 5 mètres de leur entrée respective. Elle serait interdite en outre sur les terrasses, dans les jardins publics et les zones de jeux, à moins de 5 mètres des horodateurs, machines à paiements, distributeurs d’argents et automates à billets de transports et dans les lieux de cultes. Les mendiants ne pourraient plus être accompagnés de mineur·es. Or, les rares familles qui viennent avec leurs enfants n’ont pas d’autres solutions que de les emmener avec elles. Les parents savent que la place de leurs enfants n’est pas dans la rue. Si la Municipalité veut vraiment assurer des conditions de vie appropriées à ces enfants, il faudrait leur donner un espace d’accueil adapté. Or, la majorité PS-Verts du Conseil communal a refusé une proposition du groupe La Gauche d’ouvrir un lieu d’accueil permanent pour les personnes en situation de grande précarité, parmi lesquels les mendiant·es roms.

     En cas de non-respect de ces multiples interdictions, les amendes iront de 1 à 500 francs alors qu’en cas de récidive, elles pourront aller jusqu’à 1000 francs.

 

L’exemple à ne pas suivre

La Municipalité de Lausanne aurait pu tirer les leçons des résultats catastrophiques de l’interdiction de la mendicité à Genève. En effet, suite à son interdiction en 2007, plus de 10 000 contraventions d’un montant unitaire de 130 francs ont été envoyées à l’adresse postale des mendiants roumains pour un coût de 7,50 francs de port. Les mendiants récoltent environ 10 francs par jour pour leur survie : ils n’ont donc pas les moyens de payer de telles sommes et ont obtenu l’annulation de quasi toutes les amendes, après des recours systématiques de l’association de défense des Roms « Mesemrom ». Le nombre de mendiants n’a pas diminué et le coût faramineux de la tentative d’interdiction – les coûts de la mise en oeuvre de l’interdiction de la mendicité sur 18 mois seraient évalués à quelques 20 millions au frais du contribuable genevois. «. Par ailleurs, un collectif regroupant 23 associations et partis politiques s’est créé, en décembre 2011, afin de lancer une pétition visant à abroger la loi interdisant la mendicité à Genève. Celle-ci est en effet considérée comme discriminatoire envers les mendiants, ainsi que coûteuse pour le contribuable. Il en va de même pour le contre-projet de la Municipalité de Lausanne comme pour l’initiative. Ces propositions jettent le discrédit sur une population dont l’histoire est faite de persécutions, et mettent en danger leur unique moyen de survie.

 

Isabelle Paccaud, Hadrien Buclin, Sébastien Guex, Jean-Michel Dolivo