La Chaux-de-Fonds

La Chaux-de-Fonds : Une histoire pas si rose

En 1912, le Parti socialiste a conquis la majorité à La Chaux-de-Fonds. Le centenaire de cet événement fait l’objet d’un ouvrage, rédigé par un collectif de membres du PS coordonné par l’ancien juge fédéral Raymond Spira. Ce travail a fait jusqu’ici l’objet de louanges, qu’il convient toutefois de tempérer.

 

Certes, de nombreux thèmes y sont abordés : logement et urbanisme, école et formation, politique sociale, politique culturelle, activité sportive, finances communales et diversification économique, fonction publique, accueil et intégration des migrants, pacifisme, droits des femmes, luttes politiques. Ce bilan d’un siècle est similaire à celui de nombreuses municipalités de gauche en Europe (par exemple, les municipalités PCF de la « banlieue rouge » parisienne).

 

     L’introduction signale que « le but de la publication n’est pas de retracer l’histoire du Parti socialiste chaux-de-fonnier durant le siècle écoulé, ni d’en faire l’hagiographie ». Or, le chapitre 11 (sur les luttes politiques) est très problématique: l’histoire de la gauche (et de ses composantes) se transforme en une promenade au milieu de roses sans parfum ni épines.

     Ainsi, aucune explication n’est donnée sur les divergences qui opposèrent sociaux-démocrates et libertaires au sein de la 1re Internationale (1864-1876). Seule référence fournie : un ouvrage, paru en 1947, de feu Charles Thomann, sympathisant du PS, sur le mouvement anarchiste dans les Montagnes neuchâteloises. Or, le point de vue libertaire a été développé dans une brochure d’Auguste Spichiger, « Le parti pettavelliste » (1913), disponible à la Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds.

     La scission des années 1920 entre sociaux-démocrates et communistes n’est pas mieux traitée: elle est réduite à un débat statutaire, où les « réformistes » l’ont emporté sur les « partisans des conditions de Moscou ». Ce débat sur la révolution russe et l’Internationale communiste eût mérité un historique sérieux.

 

Ces raccourcis empêchent des rappels utiles :

 Il n’est pas mentionné qu’en 1912, grâce à des documents de la Commission scolaire, le PS avait dénoncé – et c’est là tout à son honneur – l’action de la police politique (« Les dessous de l’Etat fouineur », solidaritéS, no 2, 24.2.2002, www.solidarites.ch/journal/#right=d/article/406/).

 A propos de l’interdiction du parti communiste en 1937, il est relevé que cette mesure liberticide fut approuvée par l’aile syndicaliste du PSN (animée par René Robert, dirigeant de la FOMH). Or, toute la direction du PSN a failli : « Le parti socialiste intimidé encaissa la première loi anticommuniste que Paul Graber [dirigeant du PSN], malgré le déplacement spécial d’Oprecht [président du PSS], ne voulait pas combattre devant le peuple, prétendant que l’opposition faite au Grand Conseil suffisait » (André Corswant, textes éd. par le POP neuchâtelois. Genève, 1975).

 L’existence de l’extrême gauche dans les années 1970-1980 n’est pas signalée. Seule mention : en 1984, le parti solidaritéS aurait obtenu un siège au Conseil général de La Chaux-de-Fonds. Or, désolé pour les auteur·e·s : solidaritéS n’existait pas encore en 1984. Ce siège avait été obtenu par le Parti socialiste ouvrier (ex-Ligue marxiste révolutionnaire).

 Pour garantir la continuité historique, il a été fait appel au vétéran Willy Schüpach (ex-secrétaire syndical et neveu de Paul Graber). Il réprouve – bel exemple de «socialisme démocratique » ! – l’existence d’autres formations à gauche en dehors du PS. Il s’aventure à déclarer (et là, je prends la liberté de dire à M. Schüpach qu’il ne connaît rien à notre mouvement) : « les véritables popistes sont devenus solidaritéS pour encore diviser les popistes », ce qui n’est pas une analyse sérieuse.

     L’ouvrage des Editions Alphil, « La Chaux-de-Fonds 1912-2012 : histoires d’une ville de gauche » (Neuchâtel, 2012) donne des repères sur le siècle écoulé. Toutefois, l’histoire exhaustive de la gauche (ou plutôt des gauches) neuchâteloise(s) reste à écrire. Vaste chantier…  

Hans-Peter Renk

 


 

 

 « Socialisme démocratique » contre gauche révolutionnaire

 

N’en déplaise aux auteur·e·s, le débat sur la révolution russe et l’Internationale communiste dans les années 1920 n’eut rien d’un duel à fleurets mouchetés. Extraits d’un récit contemporain :

 

   « Dans les cantons à majorité hostile à la Troisième Internationale, la minorité n’a plus aucune possibilité de faire entendre sa voix dans les organes du parti. Otto Volkart a dû abandonner la rédaction du « Demokrat », de Lucerne, comme quelques mois auparavant J. Humbert-Droz avait dû sortir de la rédaction de la « Sentinelle ». Bien plus, à La Chaux-de-Fonds, l’Union ouvrière et le parti socialiste interdisent la vente de brochures de gauche et en particulier des brochures traitant de la Russie à leurs meetings.

   C’est maintenant contre les Jeunesses socialistes que s’exerce la réaction du parti. Il y a quelques mois, à l’occasion d’une fête ouvrière, le Cercle ouvrier de La Chaux-de-Fonds avait arboré des drapeaux aux couleurs patriotiques. Quelques membres de la Jeunesse, membres du Parti et du Cercle, les enlevèrent et les remplacèrent par le drapeau rouge sans passer par la voie hiérarchique du comité. Ce petit incident fut le prétexte de l’expulsion de la Jeunesse des locaux du Cercle. » 

 

(Le Phare : éducation et documentation socialiste, année 1, no 4, 1er décembre 1919, pp. 23-24. Rédacteur en chef : Jules Humbert-Droz)