Réseaux de soins intégrés

Réseaux de soins intégrés : Du rififi chez les médecins de famille

Parmi les partisans du projet de réseaux de soins intégrés (« managed care »), on compte l’association des médecins de famille. Un de ces derniers, Martin Walter, a pourtant osé confier à la Wochenzeitung (WOZ du 12 avril) les raisons pour lesquelles il disait à ses patient·e·s de voter contre. Et le ciel lui est tombé sur la tête.

Martin Walter est non seulement médecin de famille à Granges (SO), mais aussi membre du réseau de soins Hareso. Les membres de ce réseau ont donc reçu un furieux courriel d’une des dirigeantes de « Médecins de famille », demandant que l’on veuille bien ramener à la raison ce « gaillard » au comportement dissident « intolérable ». Plus paternaliste, son collègue Andreas Schoepke, de Soleure, lui expliquera que dans le réseau, tout le monde devait marcher du même pas. Andreas Schoepke et non seulement médecin de famille, mais aussi dirigeant de la firme Argomed, qui s’occupe de l’organisation des réseaux et, selon son propre site, à joué un rôle important dans la configuration du projet de « managed care ». Nous voilà donc prévenus quant au fonctionnement futur de l’usine à gaz…

 

Des révélations « intolérables »

Que disait donc de si sulfureux l’aimable docteur Walter ? Ce qu’il constatait dans son travail, simplement. D’abord que son adhésion au réseau de soins avait été un peu contrainte. S’il avait finalement adhéré, c’était moins par conviction que pour répondre à la demande de ses patient·e·s, intéressés financièrement à ce qu’il fasse partie d’un réseau. La coresponsabilité budgétaire des médecins dans le projet du Conseil fédéral l’inquiète. Cela pourrait déboucher sur une réduction des prestations. Et il donne un exemple : « Je recours assez souvent à des coloscopies pour prévenir des cancers du côlon. Lorsque dans l’entourage familial large d’un patient, des cas de ce cancer sont connus, un examen est fait. Si l’on découvre précocement des polypes dans l’intestin, on peut souvent empêcher une évolution cancéreuse. Mais si maintenant, dans le réseau, on applique le principe que c’est seulement lorsque l’entourage proche, comme la mère ou la sœur d’une patiente, est touché par un cas de cancer que l’examen est autorisé, alors je devrai m’y tenir. Si je ne respecte pas cette limitation, je risque d’entraîner des coûts trop élevés et d’être exclu du réseau. » Et il imagine fort bien que les réseaux puissent, par ailleurs, hésiter à admettre des personnes séropositives ou souffrant de multimorbidité.

 

Une contrainte à surconsommer

Martin Walter ne conteste pas que le système de santé entraîne des coûts trop élevés. S’il juge qu’il puisse être judicieux de procéder de manière préventive à de nombreuses coloscopies, il pense aussi que de nombreux examens n’ont pas de raison d’être : « Si dans une société de gym, on en a un qui a fait une tomographie par IRM et qu’une tumeur a été diagnostiquée, tous les autres gymnastes qui ont ici et là des maux de tête, voudront aussi faire un IRM. C’est une évolution typique de la société de consommation, où chacun doit pouvoir tout obtenir. En tant que médecin, c’est très difficile de refuser un examen comme ça, même s’il n’est pas justifié. »

     Martin Walter ne croit pas non plus que le « managed care » entraîne davantage d’écoute du patient et de discussion avec lui : « Il est possible que la coresponsabilité budgétaire amène plutôt à miser davantage sur les entretiens, meilleur marché, que sur les examens et l’envoi chez les spécialistes, plus chers; mais les médecins ne gagneront pas beaucoup en faisant cela. »

     Quoi que l’on pense des déclarations du docteur Walter, qui reflètent des opinions finalement assez courantes, on s’explique mal la réaction disproportionnée de ses collègues et de l’association Médecins de famille. A moins que les faiblesses du projet de réseaux de soins intégrés soient telles que la moindre remarque de bon sens le mette en péril.

 

Daniel Süri