Chine

Chine : La résistance ne désarme pas

Tant que faire se peut, notre journal rend compte des luttes sociales et environnementales en Chine (voir les nos 170 et 179, sur notre site). Nous poursuivons ci-dessous avec une présentation de conflits moins connus que ceux de Honda ou de Foxconn, contribuant à compléter ce paysage chinois.

La lutte contre la privatisation de l’entreprise sidérurgique de Tonghua (province de Jilin, dans le nord-est de la Chine), qui a conduit à la mort d’un des patrons de l’usine en juillet 2009, s’est terminée par une victoire pour les travailleurs, puisque les plans de privatisation de l’entreprise et de son rachat ont dû être abandonnés. L’entreprise privée qui voulait s’en emparer – Jianlong Steel, la plus grande du secteur – avait d’abord acquis 36 % de Tonghua auparavant, ce qui s’était traduit par une vague de licenciements. Les travailleurs – anciens et actuels, avec leur famille – bloquèrent, le 24 juillet, le chemin de fer amenant le minerai à l’usine. L’action se termina à 22 heures le soir, lorsque l’un des patrons Chen Guojin fut battu à mort par les manifestant·e·s. Il était considéré comme le représentant des intérêts de Jianlong et symbolisait la morgue de cette entreprise. La privatisation ainsi stoppée, une participation majoritaire dans l’entreprise a été prise par la Shougang Steel Group, un groupe public l’année suivante. Ce qui ne suffira pas encore à garantir l’emploi, les groupes publics étant souvent restructurés comme ceux du privé.

     La lutte de Tonghua est importante, d’abord parce qu’elle montre que les travailleurs n’assistent pas passivement aux privatisations. Ensuite parce que le meurtre d’un patron, à la suite d’une action collective, est une première. D’autres dirigeants ont été tués, mais toujours par un acte isolé. De plus, cette action collective a reçu le soutien de la plupart des autres travailleurs et aussi des internautes. Face à cette colère de masse, les autorités provinciales ont dû reculer et faire des concessions. L’exemple de Tonghua encouragea aussi les travailleurs de la Linzhou Steel, à Puyang (province du Henan), qui séquestrèrent un fonctionnaire du gouvernement municipal durant 90 heures, avant d’obtenir raison.

 

Les travailleurs de Pepsi en lutte

Autre exemple de mobilisation des travailleurs, celle de milliers d’ouvriers et ouvrières des usines d’embouteillage de Pepsi le 14 novembre 2011, contre l’accord conclu avec le groupe taïwanais Tingyi. Cet accord impliquait la renonciation de Pepsi à ses activités d’embouteillage en Chine, leur transfert à une coentreprise formée par Tingyi et une société japonaise (du groupe Asahi). Les travailleurs et travailleuses de Pepsi devaient donc renégocier leur contrat de travail avec les nouveaux patrons. A cette annonce, les salarié·e·s de Pepsi, maintenus jusqu’alors dans l’ignorance, cessèrent le travail durant une journée. Ils exigèrent soit l’abandon de la reprise, soit le paiement d’indemnités supplémentaires de la part de Pepsi. Cette action de protestation des ouvriers et ouvrières de Pepsi est importante, car, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des cas en Chine, les salarié·e·s se coordonnèrent dans plus de cinq villes différentes en même temps (Chongqing, Chengdu, Fuzhou, Changsha et Nanchang). Une campagne en ligne a même eu lieu pour tenter d’amener toutes les entreprises de Pepsi en Chine à rejoindre le mouvement.

     Par la suite, Pepsi a dû effectivement concéder quelques compensations salariales; les messages sur les blogues des travailleurs – rapidement supprimés après leur apparition – ont montré qu’il y avait encore une certaine insatisfaction quant au résultat obtenu.

 

Ceux de Wukan et les autres

Le village de pêcheurs de Wukan (env. 13 000 habitants, dans la province du Guangdong) et sa résistance représentent un cas remarquable. L’accaparement des terres des paysans par des fonctionnaires corrompus et chose courante en Chine. Les protestations aussi, mais celle de Wukan en 2011, à la suite de plusieurs plaintes restées sans effet, a débouché sur une véritable manifestation de masse, avec prise d’assaut des bureaux du parti et expulsion du secrétaire du parti. Les villageois furent ensuite repoussés par la police anti-émeute. L’arrestation de la délégation du village, chargée de discuter avec le gouvernement local, remit le feu aux poudres et cette fois-ci, la police anti-émeute, malgré son arsenal, fut repoussée. La mort en détention d’un des représentants du village ajouta encore à la fureur des manifestant·e·s. Mais la lutte se termina à l’avantage des villageois, avec la libération des personnes détenues, la réélection d’un nouveau comité du village et l’assurance que les plaintes seraient traitées. Des élections effectivement démocratiques se sont tenues pour la première fois en mars 2012.

     En matière d’environnement, les habitant·e·s de la ville de Dalian (province de Liaoning) ont réussi à obtenir en août 2011 la fermeture (provisoire ?) et la promesse de déplacement de l’usine pétrochimique locale, une tempête ayant provoqué un éventuel déversement d’un produit toxique. A Haimen, près de Wukan, des milliers de villageois ont obtenu en décembre 2011, au prix de plusieurs blessés et de deux morts, la suspension du projet d’une centrale thermique au charbon polluante.

   Ce sont là de petits signaux qui traduisent l’audace de la génération actuelle et indiquent que le souvenir de la terrible défaite de 1989 s’estompe. Autant de raisons de ne pas renoncer à l’espoir.

 

Au Loong-Yu

dirigeant du mouvement pour la justice globale de Hong-kong, membre de la rédaction du China Labour Net;

Bai Ruixue

membre du China Labour Net.

 

Leur article est paru dans « International Viewpoint » (www.internationalviewpoint.org). Adaptation et traduction de la rédaction.