Notre corps nous appartient toujours!

 Après quarante ans de luttes féministes acharnée, la « solution des délais » est acceptée en 2002 par 72 % des votant·e·s. Les femmes peuvent enfin avorter librement en Suisse. Pourtant, même pas dix ans après, il nous faut ressortir les vielles banderoles pour faire comprendre à une bande de réactionnaires que nous voulons que l’avortement reste libre et gratuit.


Le 4 juillet 2011, l’initiative populaire « Financer l’avortement est une affaire privée » est déposée avec un peu plus de 100 000 signatures par un comité interpartis composé de membres de l’UDC, du PEV, du PDC et de l’UDF proches des mouvements « pro-vie ». Les initiant·e·s ont un moment tenté de dissimuler leur velléités anti-avortement derrière des arguments purement économiques par ailleurs totalement infondés (les IVG représentent seulement 0,2 % du coût total de la santé). Mais depuis le mois de mars, ils cachent de moins en moins leur véritable objectif : condamner l’avortement.

 

 

Les masques tombent

En effet, les ini­tiant·e·s clament haut et fort que l’avortement est un meurtre. Ils prétendent que leur conception de l’IVG (Interruption volontaire de grossesse) serait soutenue par un arrêt du 18 octobre 2011 de la cour de justice de l’Union européenne. Pourtant cet arrêt ne fait nullement mention de l’avortement. Il concerne la brevetabilité de l’embryon humain et conclut que ce dernier ne doit pas être utilisé à des fins industrielles et commerciales. Rien donc, qui soutienne les allégations des ini­tiant·e·s.

            Affirmer que « l’enfant à naître » est tué lors d’une IVG est une première étape vers une interdiction complète de l’avortement. C’est vouloir que les femmes ne soient pas libres de contrôler leur corps, leur sexualité et leur reproduction. Obliger une femme à mener une grossesse non désirée à terme est une violence à son égard qui peut, selon la Fédération des médecins suisses et la Société suisse de gynécologie et d’obstétrique, rendre malade. L’avortement doit donc impérativement rester libre et gratuit, afin qu’il soit pratiqué dans de bonnes conditions autant physiques que psychologiques, droit reconnu par le Conseil des Droit de l’Homme de l’ONU.

            Les initiant·e·s prétendent également que le non-remboursement diminuerait le nombre d’IVG. Ils brandissent fièrement l’exemple des USA qui auraient réussi à réduire le nombre d’avortements grâce à cette stratégie. La situation dans laquelle se retrouvent les femmes pauvres qui doivent utiliser leurs maigres économies pour pouvoir avorter n’est étrangement jamais mentionnée. Ils oublient également de préciser que les USA ont un taux de 19,6 avortements pour 1000 femmes en âge de procréer, contre seulement 6,8 en Suisse (chiffres de 2010).

 

La solidarité mise à mal

En effet, malgré un accès libre et gratuit à l’avortement, la Suisse a un des taux d’IVG le plus bas du monde. De plus, ce taux n’a pas augmenté avec l’entrée en vigueur de la solution des délais. Rendre l’accès à l’avortement plus difficile ne diminue donc pas son nombre, mais a, par contre, des conséquences désastreuses sur la qualité de vie des femmes, notamment des plus pauvres. Le non-remboursement stigmatise l’avortement et rend la procédure encore plus difficile à supporter psychologiquement. Le prix des IVG pourrait également pousser certaines femmes à s’occuper elles-mêmes du problème, avec tous les dangers que cela implique.

            Selon les au­teur·e·s de l’initiative, personne ne devrait être forcé à « cofinancer » un avortement. Les ini­tiant·e·s remettent ainsi en cause le principe de solidarité à la base de toutes assurances maladie : les fumeurs paient pour les non-fumeurs, les sportifs pour les obèses, les témoins de Jéhovah contribuent à financer les dons du sang. Ils appliquent l’adage « diviser pour mieux régner » qui ne profite à personne, sauf aux assureurs qui pourront proposer des prestations complémentaires (payantes) pour ce types d’intervention. De plus, les prix des IVG risquent d’augmenter si elles ne sont plus remboursées. L’égalité entre hommes et femmes en prendrait également un coup. En effet, madame devra payer seule son avortement, alors que monsieur, pourtant tout autant responsable, n’aura aucune obligation de mettre la main au portemonnaie.

 

Restrictions rétrogrades renforcées ?

Les initiant·e·s mettent en avant deux situations dans lesquelles les IVG seraient tout de même remboursées par l’assurance maladie : en cas de viol et si la grossesse met la vie de la mère en danger. Ces dispositions sont encore plus restrictives qu’à l’époque où l’avortement était interdit. Les mineures pouvaient avorter, et être remboursées par l’assurance maladie (depuis 1981). Les risques pour la santé physique et psychologique de la femme étaient également pris en compte. De plus, la majorité des grossesses non-voulues surviennent de manière accidentelle, à cause d’une rupture du préservatif ou de l’oubli de la pilule. L’avortement n’est peut-être pas une maladie (l’accouchement non plus d’ailleurs), mais il doit rester couvert par l’assurance maladie au même titre que d’autres événements non-désirés et inattendus.

            L’avortement doit rester libre et gratuit. Car, enlever la possibilité d’avorter, c’est remettre en cause le droit des femmes de contrôler leur corps et leur sexualité. Stigmatiser l’avortement, c’est exercer une violence psychologique envers les femmes qui y recourt ou veulent y recourir. Ne pas rembourser l’avortement, c’est obliger les femmes à prendre en charge seule le coût d’une telle intervention sans que les hommes n’aient à participer, c’est également faire de l’avortement un privilège pour quelques fortunées. Les IVG doivent continuer d’être remboursées par les assurances maladie ! Ces dernières devraient également rembourser les moyens de contraceptions.

 

Nora Köhler