Immigration

Immigration : La politique du robinet pour mieux serrer la vis!

Le retour à une politique de contingentement de la main d’œuvre étrangère est à l’ordre du jour. En activant depuis le 1er mai 2012 la « clause de sauvegarde » à l’égard de huit Etats de l’Union européenne (UE), le gouvernement helvétique entend donner un gage à l’Union démocratique du centre (UDC) : les droits au séjour et la libre circulation des ressortissant·e·s de l’Union européenne doivent être limités.

Un peu plus d’un mois après le dépôt par l’UDC de son initiative « contre l’immigration de masse », qui a recueilli 135 557 signatures en six mois de récolte, le Conseil fédéral fait un pas dans le sens d’une politique encore plus restrictive en matière d’immigration : l’affirmation que cette politique doit être liée très étroitement aux besoins de main d’œuvre sur le marché du travail, dans les différentes branches économique.

  

L’UDC en embuscade

Un pas en direction de l’initiative de l’UDC qui entent remettre en cause les Accords de libre circulation des personnes (ALCP), conclus avec l’UE en 1999 et étendus aux res­sor­tis­sant·e·s des nouveaux Etats membres de l’UE en 2004 et 2009. L’initiative xénophobe prévoit que « le nombre des autorisations délivrées pour le séjour des étrangers en Suisse est limité par des plafonds et des contingents annuels. Les plafonds valent pour toutes les autorisations délivrées en vertu du droit des étrangers, domaine de l’asile inclus. Le droit au séjour durable, au regroupement familial et aux prestations sociales peut être limité ».

            De surcroît « les plafonds et  contingents annuels pour les étrangers exerçant une activité lucrative devront être fixés en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect du principe de la préférence nationale?; ils doivent inclure les frontaliers. Les critères déterminants pour l’octroi d’autorisations de séjour sont en particulier la demande d’un employeur, la capacité d’intégration et une source de revenus suffisante et autonome.»

            Retour à une politique de contingentement qui, dans les années 70 et 80, avait permis de renvoyer chez eux les tra­vail­leurs·euses italiens et espagnols, par exemple  à l’époque de la crise dans l’industrie horlogère : des bras que l’on exploite et dont on se débarrasse sans difficulté. Symbole de cette utilitarisme migratoire, le statut de saisonnier. Une politique que l’écrivain suisse Max Frisch décrivait en 1965 : « Un petit peuple de seigneurs se voit menacé : on avait fait appel à de la main d’œuvre, et ce sont des hommes qui sont arrivés ».

 

Le PSS court derrière l’UDC

Le comité directeur du Parti socialiste suisse (PSS), dans son projet de position « Pour une politique migratoire globale et cohérente » du 23 mars 2012 (ci-après : projet) se situe, également et pour l’essentiel, sur ce même terrain de l’utilitarisme migratoire. L’immigration est présentée avant tout comme un problème. Il est ainsi choquant d’y lire que c’est la proportion croissante de ménages étrangers qui est principalement responsable de la pénurie de logement en Suisse romande et au Tessin… (projet, p.10) Le PSS a le culot de sous-titrer ce projet Tirer parti des avantages de l’immigration – en prévenir les risques ! Les im­mi­gré·e·s qui travaillent dans les secteurs à bas salaire, avec des conditions de travail très dures, apprécient les « avantages » qu’ils·elles apportent à leurs employeurs. Comme l’indiquent les Jeunesses socialistes, « c’est déconcertant et cynique quand le PS lui-même écrit qu’il est important de pouvoir recruter des forces de travail et oublier ainsi, et ce n’est pas un fait anodin, qu’il s’agit avant tout d’êtres humains ».

            Pendant de cette orientation, le PSS ne met nullement en avant, comme une question centrale et prioritaire, celle de l’égalité des droits et du respect des libertés fondamentales pour toutes et tous. Au contraire, il explique notamment que « les mesures de contrainte doivent être proportionnées et adaptée à la personne concernée»; « les renvois forcés, notamment ceux de niveau IV (les personnes sont menottées avec des attache-câbles et ligotées à une chaise roulante pour être renvoyées de force par vol spécial dans un avion) ne doivent être envisagés qu’en ultime recours. On ne peut malheureusement pas s’en passer totalement parce que cela remettrait en cause tout le processus d’asile et de renvoi »… Il qualifie le régime d’aide d’urgence « d’utile lorsqu’il s’adresse à des re­qué­rant·e·s d’asile déboutés qui ont vraiment la possibilité de partir » (projet, p. 57). Il fait l’impasse sur le statut existant le plus précaire, celui de sans-papier, en rejetant l’exigence d’une régularisation collective au profit d’une solution « généreuse » au cas par cas ! (projet, p.61)

Une politique discriminatoire ancrée dans la loi

La question des « étrangers » est posée de manière permanente en Suisse sur le plan politique. Depuis le début des années 70 ce ne sont  pas moins de trente initiatives ou référendums qui ont été votés à ce sujet. Rappelons que, lorsque l’on parle de cette question, c’est de près d’un quart de la population qui est concernée ! Le régime mis en place par l’ALCP  reconnaît un certain nombre de droits aux « étrangers », res­sor­tis­sant·e·s de l’UE, en terme de séjour, de regroupement familial, d’accès au marché du travail.

            La Suisse connaît un système binaire, d’une part, la préférence européenne (ALCP), et, d’autre part, pour les im­mi­gré·e·s du reste du monde, soumis à la Loi sur les étrangers (LEtr) avec des statuts soumis à des conditions appréciées, de manière arbitraire, par les autorités compétentes qui visent à limiter au maximum les possibilités de séjour. Afin de bétonner la frontière entre ces deux cercles, la Suisse participe à l’espace Schengen, aux Accords de Dublin ainsi qu’à l’édification de la forteresse Europe. La Confédération helvétique appuie et finance la police aux frontières Frontex, avec sa politique de sous-traitance de « gestion des flux migratoires » dans des pays comme l’Ukraine, la Tunisie ou le Maroc.

Droit au séjour et extension des droits sociaux

Dans le contexte d’une crise socio-économique d’une ampleur inédite en Europe, avec des taux de chômage pour les jeunes approchant la moitié d’une classe d’âge (Espagne, Portugal, Grèce), le « marché du travail » en Suisse subit des tensions. Les employeurs mettent à profit cette situation pour baisser les salaires, détériorer considérablement les conditions de travail et de vie de l’ensemble des salarié·e·s, en particulier en terme d’horaire et d’intensité du travail. Cette réalité met en relief combien il aurait été nécessaire de mettre en place de véritables mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes et combien celles existantes sont inefficaces, de l’aveu même de la commission de gestion du Conseil national !

            Renforcer la protection contre les licenciements, mettre en place un inspectorat du travail indépendant des employeurs avec les moyens nécessaires et introduire des salaires minimaux, ce sont là des mesures urgentes pour défendre les droit de tous les sa­la­rié·e·s, quelque soit leur nationalité ou leur statut. Affirmer le principe d’une libre circulation des personnes pour toutes et tous, avec un droit au séjour, adossé à des droits sociaux et syndicaux égaux ainsi qu’à la mise en œuvre du principe à travail égal – salaire égal, afin de s’opposer aux pratiques patronales de dumping social et salarial, qui mettent à profit la mise en concurrence des salarié·e·s, des objectifs de luttes à engager toutes et tous ensemble !  

 

Jean-Michel Dolivo