On nous refuse le droit au mariage et à la formation

 

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… Nous sommes aujourd’hui trois femmes à être honorées d’un prix pour des actes qui, pour nous, vont de soi.

     Pourquoi alors avons-nous accepté ce prix ? C’est la question que nous nous sommes posée et la question d’ailleurs qui nous est posée.

     Alors, ce prix, est-ce pour nous l’occasion de défendre l’image des migrant·e·s ? En profitant de cette tribune inespérée pour plaider une nouvelle fois leur cause ? Mais les arguments sont connus de vous tous ! Répéter encore et toujours que les réfugié·e·s politiques ne sont ni des menteurs ni des délinquants, que les travailleurs·euses sans statut légal ne sont pas plus des profiteurs ou des criminels, ou encore qu’il est urgent de reconnaître que le travail du migrant est une nécessité pour l’économie en général. Non, ces choses-là, vous les savez déjà ! Il n’est pas nécessaire de les répéter. Du reste, il y a sept ans, mes camarades et moi, pour notre engagement collectif, avons déjà reçu ce prix. Depuis les choses ont-elles changé ? Oui, mais pas dans le sens espéré. Faut-il rappeler qu’on nous refuse depuis le droit de nous marier et à nos enfants l’accès à la formation professionnelle ?

 

Nous sommes en colère

Accepter ce prix a d’abord été pour nous une remise en question. Quand Mme Viotto nous a proposé d’être lauréates du prix « Femme exilée, Femme engagée », nous étions toutes évidemment heureuses. Mais en même temps, très partagées. Partagées entre l’honneur qui nous était fait, et la tristesse, voire la colère. […].
Oui nous sommes en colère quand nous entendons dire qu’il faut rendre la Suisse moins attrayante pour freiner l’immigration. Cette proposition est une véritable injure faite à tous ceux-celles qui ont connu la guerre, la persécution, qui savent ce que c’est que d’aller se coucher le ventre vide. Pour eux, leur présence en Suisse, malgré les stigmatisations et le climat actuel, a un tout autre sens ! Faut-il donc que la Suisse, ancienne terre d’émigration, se rappelle à nouveau que c’est parce que ses enfants avaient faim qu’ils partaient tenter leur  chance à l’étranger ? Faut-il donc que la Suisse redevienne pauvre pour comprendre que les murs n’ont jamais été une solution, que quand on quitte une terre, une patrie, une famille,  c’est parce que chez nous il n’y a pas à manger !

 

Etre récompensées et voir nos engagements bafoués…

Partagées face à ce prix, nous l’étions encore parce que, justement, nous sommes des femmes exilées et nous sommes des femmes engagées. Recevoir un prix, entendre dire que c’est bien ce que nous faisons, être récompensées […] pour donner la parole aux migrant·e·s dans un journal télévisé et pour apporter un peu de lumière aux sans-papier qui se terrent dans la nuit, alors que dans le même temps à ces mêmes migrant·e·s, ces mêmes sans-papier, on leur ferme les portes du pays et celles du cœur sous prétexte qu’ils-elles sont la cause de tous les maux ; cette contradiction ne peut pas nous échapper. Etre récompensées pour notre engagement et dans le même temps voir nos engagements bafoués, cela […] nous blesse. Qui ne verrait pas de l’ironie à voir sa tâche récompensée quand il s’aperçoit que pendant qu’il s’épuise à démolir un mur, un autre plus grand et plus solide se met en place ?

     C’est donc peu dire que l’acceptation de ce prix n’a pas été une décision facile. Et si finalement, nous avons accepté ce prix, c’est parce qu’en lisant le témoignage des autres lauréates, nous nous sommes rendues compte que nous avions un point commun extrêmement fort : ce que nous avons fait, nous l’avons fait naturellement,  parce que notre récompense, notre véritable récompense, notre seule récompense, c’est notre propre engagement. C’est lui qui nous nourrit. Et cette nourriture-là, il n’est pas nécessaire de la protéger. Au contraire nous n’avons pas peur de la partager. Lorsqu’on se bat pour les valeurs nobles, on ne construit pas de murs.

     C’est de cela que, nous, femmes exilées, femmes engagées, nous voulons aujourd’hui, témoigner.

     «J’aimerais tout particulièrement remercier mes camarades de lutte du «Collectif de Travailleurs·euses Sans Statut Légal».Ce sont ces instants partagés avec eux qui, jour après jour, nous ont apporté la force de poursuivre nos engagements et nous ont fourni l’engrais nécessaire à cultiver une nouvelle Suisse, une Suisse ouverte, fière de ses racines multiculturelles, une Suisse sans mur.» 

 

Silvia Marino-Mamani

Allocution à la remise du prix « Femme exilée, Femme engagée »