Que savons-nous des nanotechnologies?

Entretien avec Manuel Gari, économiste, membre de la revue « Viento Sur » et d’Izquierda Anticapitalista, et directeur de la chaire de « Travail, environnement et santé » de l’université polytechnique de Madrid.

Que sont les nanotechnologies ?

Les nanotechnologies manipulent la matière à l’échelle atomique et moléculaire et produisent des objets dont la base sont les nanomatériaux. Elles agissent sur une réalité aux dimensions réduites, l’unité de mesure est le nanomètre (nm), égal à une mille millionième partie du mètre. Le nano-univers se situe dans un intervalle de 1 à 100 nm.
     La matière transformée acquière de nouvelles propriétés en fonction de la réduction de sa taille : elle augmente la conductivité électrique et calorique, la résistance ou peut varier ses propriétés magnétiques ou chromatiques. Le nanomatériel présente une plus grande superficie par rapport à sa masse, ce qui lui confère une plus grande capacité d’interaction avec d’autres matériaux et une plus grande réactivité.

Dans un de tes articles, tu dis que la nanoscience peut supposer un changement radical dans les conditions matérielles du modèle de production. Pourquoi ?

Les nanos sont des « technologies envahissantes », vu qu’elles peuvent altérer le développement de tous les secteurs industriels. En 2011, ont été commercialisés dans le monde plus de 1000 produits basés sur des nanomatériaux dans divers domaines : médecine, cosmétique, sport, vêtements, construction, ciment, cristal, jardinage, électronique, ordinateurs, automobile, tissus, alimentation, électro-ménager ou produits pour enfants.

     Le commerce des nanos atteindra en 2015 un montant de 1,075 milliards de dollars. Entre 2015 et 2030, les nanoproduits domineront les secteurs des matériaux résistants et légers, des composants électroniques informatiques très rapides, des remèdes les plus efficaces – par la rapidité de leur action sur le torrent sanguin – du stockage magnétique à haute capacité. La recherche en nanotechnologie militaire est déjà une terrible réalité.

     Les Etats-Unis dominent la filière nano en investissements, ventes et nombre d’entreprises et de patentes, loin devant l’Union européenne et la Chine. Les nanos ont accéléré la brèche scientifique entre le Nord et le Sud. Elles ont accentué les effets les plus injustes de la division sociale et internationale du travail et renforcé les tendances à la privatisation de la connaissance.

Les scientifiques Farmer et Aletta, se référant aux nanos, ont affirmé que «l’impact sur l’humanité et la biosphère pourrait être énorme, supérieur à celui de la révolution industrielle, des armes nucléaires ou de la contamination de l’environnement». Qu’en penses-tu ? En quoi cela pourrait-il nous toucher ?

Je ne veux pas choisir entre la peste des nanos et le choléra nucléaire ou celui du changement climatique. Les propriétés des nanoparticules et des nanostructures sont toutefois en grande partie méconnues. Nous connaissons peu leur impact sur la biosphère qui ne possède pas de mécanismes pour métaboliser ce nouvel « artefact », tout comme elle n’en possédait pas pour les contaminants organiques persistants ou certains types de plastiques, etc. Pour le moment, on n’aborde pas l’étude des risques qu’elles peuvent comporter pour ceux qui travaillent ou pour les utilisateurs des produits qu’elles contiennent. Sur 300 dollars investis, seul 1 est destiné à la recherche sur les périls des nanotechnologies. Il n’existe pas de cadre régulateur sur la recherche, le développement, l’application et la libération dans l’environnement des nanomatériaux. Très secrètement, ont été mis sur le marché des produits avec des licences octroyées au matériel macro sans expériences spécifiques des effets du matériel nano sur les utilisateurs. L’étiquetage n’informe pas de leur nature. En plus d’être inconnu, le nano est clandestin.

     Les nanoparticules peuvent traverser plus facilement les barrières cellulaires. Elles sont plus solubles, ce qui augmente leur biodisponibilité pour s’incorporer aux structures cellulaires des êtres vivants. Certaines nanostructures sont peu sûres parce qu’elles augmentent les propriétés d’ignition et d’explosivité et certains nanomatériaux peuvent initier des réactions catalytiques qui ne pourraient pas être anticipées en observant leur composition chimique.
Plus de 3 millions de travailleurs et de travailleuses sont exposé·e·s aux nanoparticules, sans mesure de prévention, ni règlementation spécifique. Dans l’Union européenne, le règlement qui régit l’usage et la commercialisation des produits chimiques, le REACH, est absolument inutilisable pour les nanos, comme viennent de le constater les experts de la prévention des risques au travail. Concrètement, les nanotubes de carbone peuvent produire sur les tissus du corps des dommages similaires à ceux causés par les fibres d’amiante et provoquer le cancer.

 

Quelles devraient être les revendications de tout projet anti-capitaliste face à ces nouvelles technologies ?

Exiger un moratoire : rien, dont les effets sont méconnus, ne doit sortir des laboratoires. C’est-à-dire appliquer le principe de précaution avant la production généralisée de nanomarchandises.

     Demander une augmentation des dépenses pour les enquêtes sur les risques, afin d’éviter la répétition de cas comme l’amiante et le DDT. Les scientifiques les plus responsables chiffrent le montant nécessaire à 5 %.

     Lutter pour adapter les législations internationales et nationales à la nature des nouveaux matériaux, afin d’assurer la protection au travail, la sécurité pour la consommation, les relations commerciales du transport entre pays riches et pays appauvris, et l’interdiction de l’utilisation militaire.
Impulser la participation démocratique: établir des mécanismes d’information, de suivi et de veto sur les nanoproduits pour que les organisations syndicales, sociales et écologistes puissent vérifier les avantages et les risques de ces produits.

 

Propos recueillis par Juan Tortosa.
Traduit de l’espagnol par Hans-Peter Renk.