France: imaginer une démocratie totale

France: imaginer une démocratie totale


Depuis quelques années nous développons des contacts réguliers avec la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR). En juin 2000, Olivier Besancenot était présent au Forum Social alternatif à Genève (convoqué par le Comité Suisse de l’Appel de Bangkok) et nous l’avons régulièrement rencontré à plusieurs «universités d’été» de la LCR et des liens vivants se sont tissés avec les militant-e-s de la LCR 74 (Hte-Savoie). Nous reproduisons ci-dessous un texte d’Olivier Besancenot paru dans l’hebdomadaire Rouge de début avril.1



«La semaine passée a vraiment marqué un tournant dans notre campagne. D’abord parce que le travail effectué par les centaines de militants qui ont sillonné la France à la recherche des fameux parrainages a payé: le Conseil constitutionnel a validé ma candidature. Ensuite, une nouvelle étape a été franchie dans l’affluence aux meetings: 450 à Clermont-Ferrand, 650 à Grenoble, 550 à Toulouse, 250 à la fac du Mirail et 250 à Limoges. Avec, à chaque fois, un débat nourri d’où émergent quelques grandes questions. Quelle société démocratique voulons-nous?



Défendre une autre répartition des richesses, la priorité des besoins sociaux sur les profits, dessine un autre système économique et social. Mais cette revendication va au-delà: l’enjeu est également de promouvoir un autre système politique, une démocratie réelle, totale. Aujourd’hui, on considère généralement les pays développés comme des démocraties parce que l’on peut s’y exprimer à peu près librement et, de temps à autre, voter. Acquis démocratiques évidemment non négligeables, conquis par la lutte et qu’il faut préserver.



Mais cela nepeut faire oublier que les grandes décisions, celles qui affectent nos vies -emploi, accès au logement, à l’éducation, aux soins, salaire décent, maladies dues aux pollutions industrielles…- ne relèvent pas aujourd’hui de la démocratie. Elles sont prises par les représentants des institutions financières internationales, des banques centrales, par les PDG, au sein des directoires et des conseils d’administration des multinationales. Par des gens que nous n’avons pas élus, mais qui, eux, ont véritablement le pouvoir sur nos existences.



C’est bien cela qu’il faut changer, radicalement! Etablir la démocratie dans l’entreprise où elle est aujourd’hui bannie au profit de la dictature des actionnaires. Et dans la cité, où les aspirations des populations à décider et contrôler leur avenir sont niées. Imaginer une démocratie réelle, participative, c’est donner le dernier mot aux populations de la vallée de Chamonix en ce qui concerne la réouverture du tunnel du Mont Blanc; c’est donner le pouvoir à la population toulousaine de décider de la fermeture des usines chimiques dangereuses…



Autre interrogation: les conséquences de nos propositions sociales sur la compétitivité de l’économie, la fuite des capitaux, etc. Autant le dire franchement: les mesures que nous préconisons permettraient à l’immense majorité de la population de sortir la tête de l’eau mais ne plairaient pas à tout le monde! Alors oui, il faudrait les défendre et les protéger: dans le cas de la France, qui reste un grand pays développé où la masse de richesses produites continue à augmenter, cela ne passe pas par l’autarcie. Mais par des mesures de protection, par la renégociation des traités, notamment dans le cadre de l’Union européenne. Quant aux capitaux, pas besoin d’attendre la mise en oeuvre d’une politique 100% à gauche pour constater qu’ils circulent déjà! Mais il est parfaitement possible d’identifier les flux financiers, de les contrôler, de les taxer et d’éradiquer les paradis fiscaux, une aspiration qui grandit de jour en jour, en France comme dans le monde entier.



Enfin, la question des responsabilités de l’extrême gauche est au coeur de nombreuses discussions: pourquoi plusieurs candidatures? Que faire, après le 21 avril, d’un score vraisemblablement historique? C’est l’occasion de rappeler qu’en son temps, la LCR avait fait des propositions unitaires que, malheureusement, Arlette Laguiller – qui n’est pas mon adversaire à ces élections – a refusé par sectarisme. Mais «les faits sont têtus» et la question demeure. Pour Arlette, le parti qui manque au monde du travail et aux opprimés ne pourra se constituer par simple addition des organisations trotskystes. On ne peut que souscrire! Mais attention, il ne se fera pas non plus par soustraction… Parce que l’extrême gauche est diverse, parce que la LCR en est un courant significatif.



Et surtout parce qu’un tel parti, une force politique nouvelle, n’a aucun sens si les dizaines de milliers de militants du mouvement social (syndicats, associations, féministes, écologistes de terrains…) n’y prennent pas toute leur place, à part entière. Et puis, lutter contre les licenciements, pour une autre répartition des richesses, ne peut se concevoir strictement dans le cadre de l’entreprise ou simplement à l’échelle hexagonale. C’est ce qu’ont bien compris tous ces jeunes qui se rassemblent régulièrement dans les grandes initiatives contre la mondialisation capitaliste. Ils sont vraiment le symbole d’un tournant majeur dans la situation politique, le signe qu’après des années de défaites et de résignation, la révolte contre le vieux monde s’invite à nouveau sur la scène politique. Un espoir de libération, de démocratie totale et de justice sociale renaît. Pour des révolutionnaires, c’est un rendez-vous à ne pas manquer…»



Olivier Besancenot

  1. Consultez le site www.olivierbesancenot.org ou le site www.lcr-rouge.org