Syrie ou les contradictions de la Gauche

La révolution syrienne a commencé depuis plus de onze mois et le peuple syrien lutte toujours de manière courageuse pour renverser le régime autoritaire de Assad. La répression terrible s’abat implacablement sur la population. Le 12 février dernier, le bilan s’élevait à 8314 morts, plus de 35 000 blessés, plus de 65 000 disparus et plus de 212 000 détenus, selon le « Strategic Research and Communicatuion Center ». La détermination des Syriens et des Syriennes dans leur combat contre la dictature est pourtant mise en doute par certains courants de gauche en Europe et par quelques gouvernements d’Amérique latine.

 

Les critiques reprennent le plus souvent la propagande officielle du régime en parlant de complot de l’Occident impérialiste allié aux pays régionaux, tels que l’Arabie Saoudite et le Qatar, contre une Syrie qui serait « anti-impérialiste et pro résistante ». Dans le même temps, les manifestant.e.s sont tous caractérisés de salafistes et de terroristes.

     L’opposition à une intervention étrangère militaire en Syrie, qui n’est pour l’instant pas d’actualité comme nous avons pu l’entendre par la voix des USA et de l’OTAN, ne suffit pas. Un tel appel n’a en effet aucun sens s’il n’est pas accompagné d’un clair et fort soutien au mouvement populaire syrien.

« Notre confession est la liberté »

Le peuple syrien lutte pour la dignité, la liberté, la justice sociale ainsi que pour une véritable politique indépendante et anti impérialiste. Le mouvement populaire a réuni les différentes strates de la société syrienne et surtout les opprimé.e.s de toutes les communautés qui ont souffert des politiques autoritaires et néolibérales de ce régime clientéliste et criminel.

     L’opposition syrienne a sans cesse présenté un front uni contre le risque d’une guerre civile nationale et confessionnelle. Dans de nombreuses manifestations, des banderoles affichent des mots d’ordre comme « Non au sectarisme ». Le slogan répandu dans les manifestations est d’ailleurs « Ni salafisme, ni Frères musulmans, notre confession est la liberté ».

     En fait, le régime est le seul qui a utilisé les divisions confessionnelles pour chercher à asseoir son contrôle sur la société et à diviser la population syrienne. Il a construit une armée selon des critères confessionnels afin d’en maintenir la loyauté.

Une toute petite clientèle

Cependant, ce régime est surtout clientéliste ; il trouve ses soutiens principaux – outre son appareil de sécurité – dans la bourgeoisie majo-
ritairement sunnite et chrétienne d’Alep et de Damas, qui a largement bénéficié des politiques néolibérales conduites ces dernières années. Le régime de Assad a tissé un réseau de loyautés au moyen de liens, d’attaches – avant tout d’ordre financier et économique – avec des individus de différentes communautés. Les politiques économiques du régime ont ainsi bénéficié à une petite oligarchie et à quelques-uns de ses clients.

     La politique de libéralisation économique du régime a presque reproduit la situation socio-économique qui prévalait avant que les baasistes prennent le pouvoir en 1963 : 5 % de la population possède plus de 50 % du Revenu national.

     D’ailleurs le soi-disant crédo anti-impérialiste du régime syrien est encore remis en cause par les politiques néolibérales basées sur les investissements étrangers en provenance des pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite – et l’abandon des politiques sociales, notamment par l’annulation progressive de son système de subventions dans de nombreux secteurs causant l’accroissement des inégalités sociales et la pauvreté.

Les mensonges du régime

La Syrie a évité toute confrontation ouverte avec Israël pendant presque quatre décennies, malgré son soutien mesuré aux groupes de résistance palestiniens et libanais. A l’exception de quelques batailles aériennes en 1982, Israël et la Syrie n’ont pas été en conflit militaire depuis 1973.

     La Syrie n’a pas riposté aux attaques directes sur son sol, largement attribuées à Israël (frappe aérienne en 2007 sur un réacteur nucléaire suspecté ; assassinat du dirigeant résistant libanais Imad Moghniye en 2008). Pendant la guerre du Liban en 2006, pas un seul tir n’est parti depuis le territoire syrien.

     La Syrie s’est engagée dans de multiples pourparlers de paix. Même si ces pourparlers n’ont pas abouti à un accord, leur échec n’a fait que maintenir un climat « froid » entre les deux pays. Les experts israéliens estiment que l’instabilité du régime syrien ou son changement pourraient modifier cet accommodement qui dure depuis longtemps. Des officiels syriens ont déclaré à maintes reprises qu’ils étaient prêts à signer un accord de paix avec Israël, dès la fin de l’occupation du Golan. Toutefois, ils n’ont rien dit sur la question plus ample du statut des Palestinien-nes. Rami Makhlouf, le cousin de Bachar el-Assad, a déclaré en juin 2011 que sans stabilité en Syrie il n’y aurait pas de stabilité en Israël. Il a ajouté que personne ne pouvait prévoir ce qui se passerait si quelque chose arrivait au régime syrien.

     Nous ne devrions pas oublier que c’est le régime de Hafez el-Assad qui a écrasé les Palestinien·nes et le mouvement progressiste au Liban en 1976, mettant un terme à leur révolution et qui a participé à la guerre impérialiste contre l’Irak en 1991 avec la coalition dirigée par les Etats-Unis. Durant ces trente dernières années, le régime syrien a arrêté toutes celles et ceux qui tentaient de développer dans le pays une résistance pour la libération du Golan et de la Palestine.

     Dans le passé c’est le peuple syrien qui a fait pression sur le régime syrien pour soutenir la résistance. C’est la population syrienne qui a accueilli les réfugié·e·s palestiniens et irakiens lorsqu’ils-elles étaient attaqués et occupés par les puissances impérialistes. De nombreuses bannières témoignent aujourd’hui au cœur des manifestations la solidarité avec la Palestine, notamment celle-ci : « Palestine n’attend pas pour les Arabes -Le peuple syrien arrive… »

La révolution ici et partout

Une victoire de la Révolution syrienne ouvrira un nouveau front contre les puissances impérialistes, alors qu’une défaite les renforcerait.

     Les réfugié·e·s palestiniens de Syrie ne s’y trompent pas et c’est pour cette raison qu’ils·elles participent en nombre grandissant chaque jour aux côtés de leurs frères et sœurs Syriens et Syriennes à la révolution. Ils·elles ont également souffert de la répression et comptent dans leur rang plus de 40 martyrs et des centaines de réfugié·e·s arrêtés par les forces de sécurité. Une déclaration commune d’intellectuel·le·s palestiniens a également condamné l’utilisation par le régime syrien de la cause palestinienne pour réprimer le mouvement populaire, tandis que de nombreuses manifestations en Palestine ont eu lieu en soutien à la révolution syrienne.

     En conclusion, la révolution syrienne fait partie intégrante du processus révolutionnaire et de la dynamique des événements qui se déroulent actuellement dans le monde arabe, et ne devrait pas en être séparée. Le peuple syrien lutte comme les Egyptien·nes, comme les Tunisien·nes et d’autres démocrates, socialistes et anti-impérialistes de la région. Ce sont les protestataires syriens qui sont les vrais révolutionnaires et les vrais anti-impérialistes, malgré ce qu’en disent Chavez, Ahmadinejad et d’autres comme Michel Collon quand ils prétendent que le régime syrien est en train de faire face à une attaque impérialiste menée par l’Occident.

         Le comité local du Golan occupé a déclaré, avec justesse, que le Golan comme la Palestine d’ailleurs ne seront pas libres tant que Lattaquié, Homs, Hama, Damas et toute la Syrie ne seront pas libérés du traître Al-Assad.

Vive la Révolution Syrienne!

Vive la lutte du peuple Syrien!

 

Khalil Habash
Activiste d’origine syrienne