Secret bancaire

Secret bancaire : La main dans le pot de confiture

Lorsque l’UBS décida, légèrement contrainte à vrai dire, de renoncer en juillet 2008 à accueillir des clients américains sur des comptes suisses, le filon ne fut pas abandonné par tout le monde. Principal associé-gérant de la banque privée Wegelin, Konrad Hummler fonça sur le pactole, avec, croyait-il, un avantage imparable : sans agence aux Etats-Unis, sa banque n’œuvrait que depuis la Suisse et respectait ses lois.

Quelques années plus tard, le coup a foiré. L’ancien président de l’Association des banquiers privés suisses, l’administrateur de la Banque nationale suisse, le toujours président du Conseil d’administration de la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), le propriétaire de Trumpf Buur – pamphlet prônant «moins d’Etat, moins d’impôts, moins de bureaucratie» après avoir fait les beaux jours de l’anticommunisme helvétique – le colonel EMG Hummler s’est stratégiquement planté. Le dirigeant de banque, qui avait fait ses classes à l’UBS et renforçait sa direction en débauchant un spécialiste de l’argent sale des services du procureur du canton de Zurich, impressionnait toujours la presse par son anticonformisme revendiqué. Prenons la presse romande : il est «l’émeutier du monde de la finance» pour l’Hebdo en juillet 2005?; «l’oracle de Saint-Gall» pour Le Temps en juin 2010?; «le banquier devenu superéditorialiste» pour Bilan en juin 2011. Aujourd’hui, il est à l’index de la nation, lui qui de manière provocatrice déclarait : «Il est évident qu’une bonne partie de la fortune placée en Suisse provient de l’évasion fiscale. Et pourtant mes collègues continuent d’affirmer le contraire. C’est un pur mensonge.?» (L’Hebdo, 21.7.2005).

 

Nom de code « Elvis »

D’après l’acte d’accusation dressé par la justice américaine contre la banque Wegelin, que la Wochenzeitung (2.2.2012) a consulté, les précautions prises donnent l’impression que le colonel EMG Hummler adorait jouer à la petite guerre. Des avocats étaient chargés de créer des sociétés-écrans au Liechtenstein, à Hongkong ou Panama afin de dissimuler l’origine américaine des fonds. On recommandait aux clients US de ne pas appeler depuis les Etats-Unis, de ne pas envoyer de courrier électronique et de préférer les SMS, moins détectables par les autorités judiciaires dans la masse des données. Un client qui voulait rester anonyme s’était attribué le nom de code « Elvis ». La banque disposait de documents de ses client·e·s certifiant faussement que leur compte n’était pas dissimulé à l’administration fiscale, alors que c’était là justement l’objectif poursuivi. La fortune cumulée des comptes non déclarés chez Wegelin passa de 2004 millions en 2005 à 1,2 milliard de dollars US en 2010.

 

La montée en puissance de la pression américaine

La mise en accusation de la banque Wegelin est un signal envoyé à l’intention des dirigeants des banques est du gouvernement suisses. Il est toutefois moins agressif que certains commentateurs le laissent croire. Wegelin n’est qu’une petite banque helvétique, insignifiante au niveau international. Le coup de règle sur les doigts n’est donc pas si douloureux. Preuve de la « bonne volonté » du Département américain de la justice, l’opération par laquelle Wegelin a sauvé la plus grande partie de ses fonds – via la création d’une autre banque aussitôt rachetée par Raiffeisen – a été jugée conforme au droit américain. Seuls les comptes américains « toxiques » sont encore gérés par Wegelin.

Mais comme l’enjeu dépasse le seul cas de l’établissement saint-gallois, les Etats-Unis ont ensuite évoqué la possibilité de s’intéresser aux activités d’autres banques helvétiques, comme le Credit suisse, Julius Baer ou les banques cantonales zurichoise et bâloise. Que les Etats-Unis cherchent ainsi à récupérer une partie des 330 milliards de dollars qui échapperaient à leur fisc, quoi de plus normal ? Surtout dans une année électorale où se manifeste un sentiment d’injustice de plus en plus fort à l’égard des plus riches. Les 5 milliards récupérés jusqu’ici par le biais des impôts et diverses amendes sont un trophée hautement symbolique pour le gouvernement Obama.

 

L’ASB appelle l’Etat au secours

Comme toujours lorsque les banques helvétiques ont un problème un peu important, l’Etat est prié de se mettre à leur service. L’Association suisse des banquiers (ASB) a ainsi exigé le 7 février l’intervention du Conseil fédéral pour résoudre le contentieux fiscal avec les Etats-Unis, le priant de prendre une initiative politique dans ce sens. Puisque la NZZ a toutes les raisons d’être au parfum, écoutons ses recommandations : «il faut trouver des règles qui permettent une meilleure collaboration dans le cadre de la nouvelle stratégie de l’argent propre de la Suisse, tout en conservant en même temps le noyau central du secret bancaire, en rendant impossible de procéder simplement à l’échange automatique d’informations sur les clients des banques» (28.1.2012). A cette première revendication, l’organe des milieux d’affaires ajoute une seconde : «de manière au moins aussi urgente, une solution doit cependant être trouvée pour le passé». Cela devrait concerner non seulement les onze banques mises en cause par les Etats-Unis, mais bien déboucher «sur une solution globale pour toutes les autres banques.?» Car comme le remarque finement le quotidien zurichois : «si l’on prend les choses au pied de la lettre, on pourrait trouver par le passé auprès de n’importe quel institut financier helvétique l’un ou l’autre manquement.?» Alors, on efface tout et on recommence ?

 

Eric Peter

(traduction DS)