La vision de la virilité chez les jeunes


La vision de la virilité chez les jeunes


La construction identitaire masculine n’est pas universelle, elle relève de la culture de chaque société. La représentation masculine peut donc différer d’un lieu à l’autre, néanmoins, dans la plupart des cas le fond reste le même, à savoir: ce sont les hommes qui détiennent le pouvoir.

Maria Casares*

Dans notre système culturel, les valeurs qui caractérisent un homme sont: la force, la puissance, la robustesse, la fermeté, la solidité. Dans les médias, les hommes sont représentés avec des muscles volumineux, ils sont grands, ce sont les protecteurs de la planète, incarnant la puissance, la protection d’autrui, surtout lorsqu’il s’agit de femmes et d’enfants.

Mais en même temps, la plupart des gens s’accordent pour reconnaître un changement dans les identités de genre. Les nouveaux modèles n’étant plus ceux des grands-parents ou des parents, on peut supposer que les jeunes générations sont prêtes à plus de souplesse dans les relations de pouvoir entre les genres. Ils ont des exemples d’hommes et de femmes différents, ils peuvent trouver des références autres que dans le schéma classique.

En examinant avec finesse les relations entre les jeunes gens, le sociologue Pascal Duret1 s’est proposé de comprendre comment les jeunes d’aujourd’hui perçoivent la virilité. Il a mené une enquête par quotas sur 1511 jeunes avec autant de filles que de garçons.

Des muscles…

Première conclusion de cette recherche: la virilité n’a pas le même sens selon le statut social. Un jeune / une jeune de classe populaire ne circonscrira pas de la même façon un mâle que celle/celui de la classe bourgeoise. En rajoutant les origines ethniques, la complexification de la définition augmente.

Par exemple, pour les jeunes banlieusards, les caractéristiques principales de la virilité sont le corps et la force. Mais les muscles ne sont pas forcément associés à la force, ces jeunes faisant une séparation entre les «vrais» et les «faux» muscles. Les premiers sont utiles, les seconds sont «pure frime». La musculation est un moyen de transformation du corps, mais là encore nous trouvons une différence: certains la pratiquent comme exercice physique sans rien chercher d’autre qu’un maintien de la souplesse du corps, d’autres l’utilisent pour modifier leur apparence physique.

…antidote au désespoir

L’auteur cite les propos d’un jeune et des effets que cela produit sur sa personnalité : «sentir que ses épaules s’arrondissent, que ses bras prennent du volume, voir le regard des autres changer sont pour lui les plus sûres manières de se sentir exister.»2

Pour ces jeunes des milieux populaires, sans ressources économiques ou culturelles, la force est un moyen de se définir, elle sera même glorifiée. Pour Pascal Duret le corps est un vecteur de réhabilitation symbolique, une échappatoire au déterminisme social. Bourdieu affirmait déjà qu’il est un antidote à la honte, à l’humiliation, au désespoir de soi. Les débouchés cloisonnés, les échecs scolaires, les moyens économiques réduits sont autant de frustrations, d’accablement rendant difficile la construction identitaire des jeunes des cités.

Pascal Duret affirme que la corpulation et la force, chez les jeunes de milieux populaires, permettent de restituer une estime de soi. Estimant n’avoir ni passé ni futur, ces jeunes tentent de sortir des conditions misérables quotidiennes par une réussite personnelle, à la manière des vedettes télévisées: Arnold Schwarzenegger, David Douillet ou Evander Holyfield représentent pour eux les hommes forts d’aujourd’hui autant à cause de leurs muscles que parce qu’ils ont réussi leur vie, ils «sont perçus comme des malins et gagnent beaucoup d’argent».3

Pour les jeunes plus aisés, les traits physiques sont nécessaires, mais ils se valorisent davantage par leur intelligence. Les muscles restent importants, mais relatifs, ils ne conduisent pas forcément au désir sexuel des filles. La vigueur sexuelle est également une préoccupation venant en deuxième position dans les caractéristiques de la virilité. La représentation qu’ils ont des hommes virils est partagée: tantôt on les voit comme des baraques, sexuellement insatiables, tantôt on les décrit avec une forte pilosité, ressemblant aux hommes des cavernes sans cervelle, «il a une belle paire dont il est très fier et qu’il appelle bijoux de famille».

La description de la virilité, faite par les jeunes de familles bourgeoises, garde comme constante la force et la sexualité. Toutefois ces attributs sont vécus d’une autre manière que par les jeunes des classes populaires. Les premiers ont un bagage culturel et économique qui leur permet de manifester leur masculinité autrement que par leur corps, même si celui-ci reste présent dans leur vie comme moyen d’expression.

Entre modernité et tradition

Le sociologue affinant son investigation cherche à savoir quel est, selon les jeunes, le caractère de l’homme viril. Cette fois, l’avis des deux sexes intervient dans les réponses données. D’emblée, Pascal Duret remarque que les filles et les garçons unanimement caractérisent le courage et la protection comme attributs principaux de la virilité. Dans cette évaluation, une nuance est apportée selon le statut social de chacun et chacune. Les filles des cités recherchent la protection physique de leurs compagnons, ils ne doivent pas avoir peur, ni craindre personne. Toutefois un des caractères de cette protection est rejeté par les filles: elles refusent la surveillance exercée par les garçons et acceptent mal leur rôle de «justicier de l’honneur».

Les jeunes filles des classes aisées ne comprennent pas le besoin de protection physique, elles le considèrent comme une dépendance et le refusent. Elles estiment que «la violence destinée prétendument à les protéger se retourne en premier lieu contre elles pour les étouffer»4.

Pour ces filles de milieu aisé, le caractère de la virilité est psychologique, il doit être rassurant, sensible, rationnel, se contrôlant. L’homme viril doit savoir se maîtriser mais ne pas cacher ses sentiments. Il doit montrer ses émotions, sans quoi il pourrait être considéré comme infirme.

Elles sont dédaigneuses envers les démonstrations estimées comme trop «macho», ces comportements seront jugés comme des enfantillages, sans maturité, sans retenue. Le jeune «macho» sera parfois même considéré comme un animal, que l’on ne peut fréquenter, que l’on écarte. Cette stigmatisation du machisme sera également partagée par les garçons des classes aisées.

Dans les réponses des filles de ce milieu, la pilosité revient fréquemment, elles trouvent les hommes «trop» poilus répugnants, cette vision leur inspire même de la crainte, de la peur. Pour certains jeunes de cette catégorie sociale, la virilité est surtout une frontière entre le masculin et le féminin. La virilité est une façon de se comporter qui n’est pas celle des femmes, qui les distingue de celles-ci.

Chassé-croisé des valeurs

La proximité des réponses données par les jeunes gens d’une même classe sociale permet à P. Duret de formuler deux éclaircissements: d’une part, il pense que les valeurs masculines sont tellement présentes dans la cité qu’elles envahissent le monde féminin. D’autre part, pour les classes aisées c’est l’inverse: les valeurs féminines agissent sur les garçons.

Pour les garçons des cités, particulièrement ceux de culture méditerranéenne, il s’agit moins de conquérir les femmes que de se préparer au monde impitoyable des hommes. Pour les garçons de milieux aisés, la démonstration du pouvoir masculin peut s’exprimer autrement que par la force physique:

«La masculinité peut plus librement s’y exprimer hors des stéréotypes virils. Sans pour autant que soit toujours clairement revendiquée l’égalité entre les sexes, le repli sur des valeurs machistes est perçu comme une crispation, signe de craintes et finalement de faiblesses».

P.Duret n’en conclut pas pour autant à une atténuation des relations hiérarchiques entre les sexes. Il met en évidence la possibilité pour les garçons de classes aisées d’exprimer le pouvoir dans d’autres domaines que le corps. Les domaines professionnels ou politiques sont autant de champs où le pouvoir masculin est investi par ces futurs adultes appartenant à l’élite. Cette potentialité déplace l’agressivité corporelle vers une autre forme, linguistique, symbolique ou psychologique, qu’ils doivent manifester pour entrer dans la «maison des hommes» élitaire, ou pour se démarquer du monde des femmes.

Reste une énigme

Je fais toutefois une réserve à l’analyse de P. Duret qui me semble trop dichotomique. Il oublie de distinguer les jeunes gens issus de la classe moyenne, ou alors il les inclut dans les classes aisées, du fait qu’ils ont les moyens économiques pour s’exprimer autrement que par la violence. Les dissocier aurait peut-être permis de comprendre si les nouvelles valeurs de l’expression de la masculinité des garçons de la classe aisée sont également partagées par ceux de la classe moyenne, ce qui reste une énigme…

* Sociologue



  1. Pascal DURET, Les jeunes et l’identité masculine, Presses Universitaires de France, Paris, 1999.
  2. Ibid., p. 28.
  3. Ibid., p. 29.
  4. Ibid., p. 32.
  5. Ibid., p. 43.