Helvétiquement vôtre

Helvétiquement vôtre : Une "ligue du gothard" pas si résistante...

Les Editions Alphil (Neuchâtel) ont publié en octobre 2011 une étude de Michel Perdrisat (pilote retraité devenu étudiant en histoire), « Le directoire de la Ligue du Gothard, 1940-1945). Entre résistance et rénovation ». Fondée en juin 1940, la Ligue est décrite comme une organisation de résistance, notamment dans le « Dictionnaire historique de la Suisse » (DHS).

La Ligue du Gothard n’est pas surgie du néant. Son noyau naît en 1939 d’une rencontre entre Romands, proches de l’aristocrate fribourgeois Gonzague de Reynold, et Alémaniques membres d’organisations de droite (Redressement national, Ligue des sans-subventions). Or, le DHS parle d’« un groupe d’hommes de tendances et de courants de pensée divers, issus pour la plupart de la grande bourgeoisie, préoccupés par l’état d’esprit du peuple suisse à la suite de l’encerclement du pays par les puissances de l’Axe ». Qu’en termes choisis ces choses sont dites…

Car le langage martial de la Ligue du Gothard – « Nous voulons que chaque Confédéré soit prêt à se défendre par les armes et à tout prix. Celui qui doute du succès de la résistance est un traître » (juillet 1940) – trompe sur la nature du mouvement. Ainsi, l’assemblée constituante du 4 novembre 1940 vota l’exclusion des personnes « n’appartenant pas à une tradition chrétienne ou celles qui font partie d’une organisation secrète », les juifs et les francs-maçons. La gauche (sauf exception) n’y est pas non plus la bienvenue…

Qui étaient donc les dirigeants de la Ligue du Gothard ? « Theophil Spoerri (président) [Nouvelle société helvétique], Julien Lescaze [Union de défense économique, Genève], René Leyvraz [Institut romand d’études corporatives, Genève], Charles Ducommun [secrétaire-adjoint de l’USS], Philippe Mottu [Réarmement moral, Genève], Heinrich Schnyder [cadre de la Migros], Christian Gasser [Ligue des sans-subventions], Philippe Müller [docteur en lettres, Neuchâtel, membre du PS]. Sept protestants et un catholique » (M. Perdrisat). Toutefois la Ligue a perdu Denis de Rougemont (exilé aux USA) et Walter Allgöwer (démissionnaire en août 1940).

Anticommunisme et alignement sur l’Axe

Six des membres protestants du directoire appartenaient au « Réarmement moral », un mouvement chrétien fondamentaliste et anti-communiste fondé dans les années 1930 par le pasteur luthérien étatsunien Frank Buchman. Socialement, tous prônent le corporatisme (Lescaze, Leyvraz) ou la « communauté professionnelle » (Ducommun) : « Nous voulons une camaraderie professionnelle entre patrons et ouvriers. Le travail et le capital doivent se mettre ensemble au service du pays pour sa défense et sa rénovation » (juillet 1940). 

Politiquement, « un certain nombre de nos camarades […] étaient tout à fait dans cette ligne : plutôt mussoliniens que non, plutôt salazariens que non » (Philippe Müller, intervention au colloque de 1977). En 1941 le Parti socialiste déclara incompatible l’appartenance au PSS et à la Ligue du Gothard (décision non appliquée au duo neuchâtelois Ducommun-Müller ou au président de la FOMH, Konrad Ilg, signataire de la « paix du travail » en 1937).

Autres exemples : le 2e communiqué de la Ligue (24-25 juillet 1940) déclarait : « Dans l’Europe nouvelle, nous ne pourrons conserver notre indépendance que si, tirant les leçons du passé, nous regardons vers l’avenir, prêts à collaborer mais décidés à tout pour sauver la Confédération ». En 1941, dans un texte publié par la Ligue aux Editions de la Baconnière (Boudry), Gonzague de Reynold plaidait pour l’alignement de la Suisse sur l’Axe (momentanément victorieux). « Le directoire de la Ligue a pris la responsabilité de publier ce pamphlet défaitiste. Il y avait de toute évidence une adhésion de ses membres aux prophéties de Reynold […]. Contrairement à ce qu’ils prétendront à la fin de la guerre, longtemps les membres du directoire ont cru à une victoire définitive de l’Axe » (M. Perdrisat). 

La « légende dorée » sur la Ligue du Gothard s’explique par le fait que « l’autre Suisse, celle qui s’est opposée à la politique d’asile des autorités helvétiques, celle qui a manifesté sa solidarité avec les victimes des régimes nazis et fascistes, a été frappée d’amnésie » dans l’histoire officielle (Luc Van Dongen, intervention à la journée d’étude du 27 mai 2000 : L’autre Suisse 1933-1945 ). L’ouvrage de Michel Perdrisat dégonfle donc quelques baudruches qui ont tenu bien trop longtemps.

 

Hans-Peter Renk


Un regard (auto-)critique sur l’idéologie de la « Ligue du Gothard »

 Officier instructeur, puis journaliste et conseiller national (Alliance des Indépendants), Walter Allgöwer (1912-1980) avait participé en juin 1940 à la fondation de la Ligue du Gothard, avant de la quitter en août 1940. En 1977, lors d’un colloque organisé par « Archiv für Zeitgeschichte » (Zürich), il présenta une contribution très critique. Extraits :

« Les fascistes au nord et au sud de notre pays ont réclamé la naissance d’une nouvelle ère par une révolution du sang et de la nation. Ils ont mis en place une grande propagande en ce sens. Et c’est exactement cette idéologie que nous avons adoptée au début de la Ligue du Gothard (…). On peut considérer cet appel à un nouvel ordre lancé par la Ligue du Gothard à ses débuts comme une capitulation face au Troisième Reich. En vue de la préparation de cet entretien, j’ai relu certains textes, Mein Kampf entre autres. En dépit de notre volonté de défense, je dois dire à notre grande honte que nous avons utilisé des éléments, des idées et des mots identiques à ceux de l’adversaire ».

 

HPR