Le nombre de suicides liés à la crise économique explose

 De récents articles parus dans la presse internationale et des revues médicales de renom ont relayé l’inquiétude de l’OMS sur les augmentations de décès par suicide en lien direct avec la crise économique mondiale qui sévit depuis 2008.

 

L’OMS a lancé un cri d’alarme en 2008, prévoyant la hausse à venir de suicides en lien avec la crise. Sa directrice générale, Mme Margaret Chan, avertissait : « Il ne faudra pas être surpris de voir plus de personnes stressées, plus de suicides et plus de désordres mentaux ». En avril 2009, un rapport intitulé « La santé en période de crise économique mondialisée : implications pour la région européenne de l’OMS », soulignait que « sur le plan personnel, la crise exerce un impact sur la majorité des déterminants sociaux de la santé, tels que le revenu, l’emploi, l’éducation, la nutrition, les pratiques commerciales, et la fiscalité. Les effets dépendent du patrimoine familial, des modèles de base de l’aide aux familles et de la protection sociale, du rôle de l’immigration ». Ce rapport conclut sur des recommandations comme la répartition de la richesse sur la base de la solidarité et de l’équité, et sur le développement d’interventions en santé publique.

 

Le suicide comme fait social

Depuis l’essor du capitalisme industriel, les crises économiques n’ont cessé d’attaquer non seulement le tissu économique, mais surtout les salariés jetés hors du monde du travail. Fondateur de la sociologie française, E. Durkheim a mis en lumière (Le suicide, 1897) la dimension sociale du suicide, avec ses faillites et la descente dans l’échelle sociale, perçues non pas comme la conséquence d’une problématique personnelle, mais comme un fait social lié à la rupture sociale, à la perte des valeurs, des repères de régulation et d’organisation sociale. Avec la Grande Dépression de 1929, les études sur la nette augmentation (50 %) des taux de suicides ont confirmé ce lien entre la crise économique et le nombre de suicides. A Genève, cet effet a également été analysé (cf. Jean Batou et Michel Schwery, Santé et société à Genève au XXe siècle, 1994) : le nombre de suicides, trois à cinq ans après la crise, a aussi augmenté de plus de 50 % !

Depuis la fin des Trente Glorieuses, les études montrent que sur les trois dernières décennies, il y a davantage d’hommes jeunes qui meurent de suicide, en corrélation étroite avec la précarité et le chômage. La crise asiatique (1997-98) a été révélatrice de cette triste réalité avec des taux de suicide qui ont atteint des augmentations de 39 % à Hongkong et la Corée du sud dépassant les 45 % ! Dans le même sens, le Lancet, prestigieux journal médical, publiait en été 2009 une étude sur 26 pays entre 1970 et 2007, et démontrait l’augmentation linéaire des taux de suicide en lien avec les taux de chômage. Il montrait également que les pays qui avaient développé des programmes actifs de réinsertion sur le marché du travail, avaient diminué les effets négatifs sur la santé.

 

Réponse désespérée face à la crise

Pour la période 2007-2008, tous les pays de l’Union européenne ont été touchés, avec une moyenne de 16 % d’augmentation des taux de suicide! Les pays les plus touchés sont la Lettonie, l’Irlande et la Grèce où en quelques mois le taux de suicide a grimpé de 40 %. Une récente étude en Grande Bretagne montre que les personnes au chômage sont deux à trois fois plus exposées au risque suicidaire. Le journal Il Manifesto publiait le 4.1.2012 un article dénonçant les drames humains derrière ces chiffres: en Italie, entre 2008 et 2009, le chômage a augmenté de 37,3 % et les suicides ont augmenté de 5,6 %, avec un accroissement plus marqué, de 11 %, dans le sud du pays. Les suicides sont souvent la conséquence de vie sans issue sur le plan financier, où, à la réalité des dettes, vient s’ajouter l’impossibilité d’obtenir de nouveaux prêts. 

Enfin, 300 travailleurs chinois menaçaient le 18.1.2012 de se jeter collectivement du toit de leur entreprise parce que la direction n’avait pas respecté ses engagements d’augmentation de salaire. Des ouvriers de cette même entreprise (Foxcorn, spécialisée dans l’électronique de loisir) avaient mis leurs menaces à exécution en 2010. Cet exemple met en scène la violence des rapports sociaux sous le règne du capitalisme, avec le retournement contre soi de ce désespoir qu’est le suicide et que nourrit quotidiennement le système en crise. Il y a urgence à sortir des impasses mortifères du capitalisme! 

 

Gilles Godinat