Après la grève de masse du 30 novembre:

Après la grève de masse du 30 novembre: : Vers un retour en force de la classe ouvrière britannique?

Nous publions ici quelques brefs extraits d’un important article mis en ligne ce 9 janvier sur le site de la revue «International Socialism» édité par le SWP britannique. Son auteur Charlie Kimber s’y livre à un bilan de l’importante grève du secteur public britannique à fin novembre. La version intégrale de l’article est disponible sur www.solidarites.ch.

La grève de masse du 30 novembre 2011 a ouvert un nouveau chapitre de l’histoire du mouvement ouvrier britannique. Environ deux millions et demi de participant·e·s ont rejoint ce qui a été la plus grande grève britannique depuis 1926. Dans toutes les villes, de très larges pans du secteur public se sont arrêtés. Enseignant·e·s, infirmiers·ères, nettoyeurs·euses, employ·e·s administratifs, travailleurs·euses des cantines scolaires ne formaient qu’une part du vaste nombre des participant·e·s à ce qui fut une réelle grève générale du secteur public.

Des centaines de milliers de personnes, probablement un demi-million ou plus, se joignirent ensuite aux rassemblements et aux manifs. La colère contre les banquiers, la révolte des 99 %, a enfin trouvé dans cette lutte ouvrière un puissant foyer de convergence. Ce fut une grève contre l’attaque aux pensions, mais bon nombre de grévistes étaient conscients qu’elle s’opposait à une stratégie plus large, qui s’en prend brutalement au niveau de vie des salarié·e·s et qui vise à remodeler toute la société britannique au service du capital et de ses profits. Cette grève fut donc importante sur les plans syndical et économique, mais aussi politiquement.

Attentes dépassées

Le secrétaire général du syndicat Unison, Dave Prentis, a dit à ses membres que ça a été « un grand jour pour Unison et le jour dont je suis le plus fier, comme son secrétaire général ». Une réaction typique de la base est venue du délégué syndical James Marsh, qui était sur les piquets de grève dès 7 h. du matin et a contribué à organiser la manif à Basingstoke dans le Hampshire. Il a déclaré au journal local : « J’étais fou de joie en apprenant le nombre de participant-e-s. J’étais tellement heureux – ça a dépassé toutes mes attentes. »

Ce jour-là les ouvriers·ères organisés ont montré la puissance dont ils disposent encore et prouvé que leurs syndicats étaient loin d’être morts. Les piquets de grèves et la solidarité sont à l’ordre du jour. Bien sûr, à certains endroits des gens ont traversé les piquets de grèves. Mais à de nombreux autres endroits ils ne l’ont pas fait. Pour la première fois depuis des années la division sur les places de travail aux quatre coins du pays était entre celles-ceux qui avaient fait grève et ceux qui avaient joué les jaunes. Et le terme de jaune a été utilisé.

Depuis un quart de siècle, suite à la défaite des mineurs de 1984-85, il était à la mode d’écarter l’idée de grèves de masse en Grande-Bretagne. Il était peut-être possible, disaient les commentateurs privilégiés, que les excités français, grecs ou espagnols fassent grève en masse, mais pas les stoïques britanniques. Même certains dirigeants syndicaux acceptaient ce mythe de l’impuissance des salarié·e·s britanniques. L’an dernier, en août, répondant à la question de savoir si on allait voir des grèves de masse ici quand les coupes déploieraient leurs effets, le dirigeant d’alors du syndicat Unite, Derek Simpson, disait : « Je ne crois pas que ce soit dans la nature du public britannique. Nous n’avons pas le naturel volatile des français ou des grecs. » Il a eu sa réponse le 30 novembre (N30).

Une trace permanente 

Quelle que soit l’issue de ce conflit particulier, cette grève laissera une trace permanente. C’est en effet par la lutte que les organisations ouvrières deviennent réalité. Une victoire pourrait voir une remontée de confiance et un rétablissement de la résistance de la classe ouvrière. Elle approfondirait la radicalisation politique en cours dans de larges couches de la population face à un capitalisme qui mène à la pauvreté et à la guerre. Une trahison ou une défaite verrait des travailleurs·euses furieux mais aigris. Un compromis confus pourrait déboucher sur une situation avec des éléments relevant de ces deux sentiments. Il s’ouvre maintenant un vif débat au sein du mouvement ouvrier pour savoir si ces grèves devraient être répétées ou étendues. Mais, quoi qu’il en soit, nul ne peut désormais prétendre que les travailleurs·euses britanniques sont apathiques ou ne soutiendront jamais des grèves ou ne seront pas actifs s’ils se mettent en grève.

Il est important de noter qu’environ 70 % des grévistes furent des femmes. Ceci démolit l’idée que les syndicats (et les grèves) seraient des reliquats «machos» d’une ère dépassée. La-le gréviste typique était une femme à bas salaire. La réponse à la question que se posent certains commentateurs, à savoir pourquoi les femmes n’aiment pas les conservateurs, trouve une réponse simple: les tories ne sont pas que des rupins arrogants, ils volent les femmes au travail et démantèlent des services publics sur lesquels elles comptent. […]

 

Une forte pression venue d’en-bas

L’arrière-plan général de ce N30 est la tentative des classes dominantes du monde de faire payer aux gens ordinaires la crise du capitalisme, causée par les banquiers et les patrons. Plus particulièrement, c’est une réponse à la détermination de la coalition gouvernementale des conservateurs-libéraux visant à faire passer en force des coupes antisociales péjorant radicalement la vie des gens. Mais trop souvent, par le passé, des occasions de lutte de ce type ont été galvaudées. Pourquoi ce N30 était-il différent ? […]

Ce N30 est la résultante de la pression exercée par la crise et par la coalition, l’effet d’inspiration venant d’autres luttes, le fait que certains dirigeants syndicaux soient prêts à se porter en tête d’une telle lutte et – encore plus important – la pression venue d’en-bas.

La bataille sur les pensions a commencé en juin 2010. Au lendemain de leur arrivée aux affaires, les Conservateurs ont dévoilé leur budget, qui – en plus de coupes massives – incluait le fait de mandater l’ancien ministre travailliste John Hutton pour qu’il livre un audit de la problématique des pensions du secteur public. Cette utilisation d’une figure travailliste pour faire le sale boulot des conservateurs était peut-être conçue comme nécessaire pour initier une confrontation aussi importante. En effet, le nombre des personnes affectées est grand: dans le secteur public, il y a 7,3 millions de retraité·e·s et 5,4 millions d’actifs-ves cotisant aux plans de pensions en question. Ainsi, avec les personnes à charge, ce sont 20 millions d’individus qui sont concernés.

Or les gouvernements – conservateur et travailliste – ont longtemps salivé à l’idée des coupes budgétaires gigantesques possibles à condition de casser ces systèmes de pensions en reproduisant dans le public les ravages qui ont dévasté les pensions dans le secteur privé. Les capitalistes et leurs gouvernements ont été contraints à payer des pensions à différents moments, soit par l’organisation des travailleurs·euses soit par la nécessité de s’assurer une stabilité de leur main-d’œuvre, mais ils rechignent toujours en ce qui concerne cette dépense.

 

Les retraités au rebut ?

Pour les patrons, des salarié·e·s trop vieux pour travailler devraient avoir l’élégance de contribuer à la diminution des coûts et à la hausse des profits en mourant aussi vite que possible suite à leur verrée de départ et ne pas continuer à traîner en accaparant de l’argent qui serait mieux employé à arrondir les bonus des managers. Les riches pensent qu’au moins l’argent dépensé pour la formation ou la santé contribue directement à la création et à l’entretien d’une main d’œuvre exploitable, alors que les pensions ne servent qu’à alimenter des gens inutilisables et déjà jetés au rebut. Ainsi une suite de plans concernant les pensions du secteur public a été basée sur un message simple: les travailleurs·euses doivent payer plus, travailler plus longtemps et toucher moins. […] En résumé, aujourd’hui, le gouvernement veut augmenter les contributions des salarié·e·s en prélevant, 2.8 milliards de livres par an sur les salaires, couper 4 milliards par an dans les retraites grâce à une indexation des pensions changeant de base et économiser 1,7 milliards par an en augmentant l’âge de la retraite, soit un total de 8,5 milliards par an de transfert massif des travailleurs·euses vers le gouvernement ou plutôt aux banques et aux corporations qui reçoivent tant de l’Etat.

C’est une bataille de classe pour savoir si les travailleurs·euses vont renoncer à leurs pensions (soit un salaire différé) pour maintenir les riches dans l’opulence et au pouvoir. Un des arguments les plus efficaces utilisé par les syndicats pour gagner leurs membres à cette lutte a d’ailleurs été, précisément, de mettre en évidence que leurs contributions supplémentaires n’allaient pas être utilisées pour payer des pensions, mais bien pour payer la facture présentée par les banquiers… 

 

Traduction par Pierre Vanek,
intertitres de notre rédaction