Destruction massive

Il aura fallu des décennies pour que l’opinion publique se rende compte de l’ampleur des désastres des camps d’exterminations nazis… et du GOULAG ! Combien de temps encore s’écoulera-t-il pour que cette même opinion, en Suisse, saisisse les désastres humains et écologiques provoqués par les traders qui opèrent en toute impunité à Genève, Zoug, etc ?

Jean Ziegler revient, après son ouvrage L’Empire de la honte, sur la première cause de décès sur terre : la faim. En 2005, la situation était révoltante, hélas, comme l’enfer de Dante connaît plusieurs cercles, l’enfer à ciel ouvert aussi : en quelques années la situation s’est nettement empirée. Malgré les promesses périodiques des gouvernants de ce monde à chaque sommet, jamais autant d’être humains n’ont souffert de la faim : plus de un milliard.

L’une des principales causes de cette augmentation, les agrocarburants : ils provoquent des catastrophes sociales et climatiques. Ils réduisent les terres vivrières, détruisent l’agriculture familiale, et contribuent à aggraver la faim dans le monde.

Les USA sont parmi les principaux responsables de cette catastrophe. En 2011, subventionné par 6 milliards de dollars de fonds publics, les trusts américains ont brûlé 38,3 % de la récolte nationale de maïs, contre 30,7 % en 2007. La terre étant limitée sur cette planète, les trusts se jettent à la reconquête de l’Afrique et de l’Amérique latine pour chercher à valoriser leurs capitaux. C’est par centaines de milliers d’hectares que les Africain·e·s sont dépossédés de leurs terres vivrières, ou contribuant à la diversité. Que le chef d’Etat soit (qualifié) de gauche comme Lula au Brésil, ou ami des propriétaires terriens comme le colombien Juan Manuel Santos, la politique est la même : accaparement des terres égale déplacements de populations, et, en cas de résistance, répression féroce, voire exécutions ! Et pourtant, le Brésil compte près de 5 millions de paysan·e·s sans terre. Le constat vaut aussi pour l’Afrique.

Le mal s’est encore amplifié avec les réductions substantielles des fonds alloués aux organismes d’entraide par les Etats pressés de renflouer les banquiers.

L’originalité du livre de Ziegler réside dans le fait qu’il ne se contente pas de dénoncer des spéculateurs invisibles dans une ville baignée par l’Hudson, mais ceux qui opèrent en Suisse et particulièrement dans les villes du bord du lac Léman. Tel le financier Gandur et sa société Addax Bioenergy. Ce multimilliardaire n’a pas défrayé la chronique pour payer ses salarié·e·s, en Sierra Leone, 1,8 euros par jour, mais pour avoir légué l’une de ces collections d’art au Musée d’Art et d’histoire de Genève, une donation stipulée par un accord signé avec le Conseiller administratif Patrice Mugny (Vert). Un chapitre est consacré à ces spéculateurs basés à Genève ainsi qu’à leur commerce, attirés par l’extrême mansuétude fiscale de son ministre des finances actuel, l’écologiste David Hiller.

Un enfant de moins de dix ans meurt de faim toutes les 5 secondes?; il est assassiné selon Jean Ziegler. Son meurtre est planifié ici et maintenant. Jean Ziegler évoque aussi le « Hunger Plan » d’Adolf Hitler visant à limiter la croissance des races inférieures. A quand un Tribunal comparable à celui de Nuremberg pour juger les responsables du meurtre de ces millions de personnes qui meurent de faim dans le monde?

Daniel Künzi


Jean Ziegler, Destruction massive: géopolitique de la faim, Paris, Seuil, 2011