Une proposition poético politique venant de Cuba : La «Nueva Trova» del Centro Pablo en Suisse

L’enquête réalisée à Cuba a donc changé de cap, nous rapprochant d’un Centre culturel à l’allure alternative, où engagement éthico-politique et celui artistique et créatif ne sont qu’une chose. Nous avons décidé de faire l’ethnographie de ce Centre à travers une observation directe et quotidienne de son mode opératoire, de ses activités, des vies des artistes et des intellectuels qui le fréquentent et qui poursuivent un projet poético-politique commun. De cette expérience est né le documentaire «Cuba También?», réalisé par l’anthropologue Francis Mobio de l’UNIL et moi-même et présenté dans le cadre d’une série d’activités artistiques et culturelles (cf. solidaritéS, nº 197). Plusieurs villes Suisse ont accueilli la projection de ce document audiovisuel et des concerts de Nueva Trova, animés par les trovadores cubains Norge Batista de Las Tunas, Roly Berrio de Santa Clara et Yamira Diaz de Pinar el Rio, accompagnés par le cinéaste, poète et journaliste Victor Casaus et par l’ingénieur du son Jaime Canfux – tous rattachés à ce Centro Pablo de la Torriente Brau de La Havane dont Victor Casaus est le Directeur. A Genève, ils ont été accueillis par le bimensuel solidaritéS, le 1er décembre dernier.

Ces manifestations ne sont qu’une première étape d’un projet de plus large envergure, impliquant des activités de coopération culturelle entre l’UNIL, d’une part, le Centro Pablo, l’Instituto d’investigación cultural Juan Marinelo et l’Université de La Havana de l’autre. Cette initiative internationaliste veut prouver que la Suisse et Cuba sont en mesure de réaliser ensemble des projets, tant éducatifs (échange d’étudiant·e·s et d’enseignant·e·s) comme de recherche et de diffusion culturelle – projets destinés à favoriser l’échange d’expériences, de savoir-faire et de compétences susceptibles, pour une part, d’offrir aux camarades artistes et intellectuels cubains les moyens matériels nécessaires à leurs productions artistiques et académiques ; d’autre part, de mettre en dialogue les franges les plus progressistes et critiques du monde académique et artistique suisse avec leurs homologues cubains.

La tournée en Suisse des artistes liés au Centro Pablo nous rappelle que si la pensée critique est fondamentale pour promouvoir la prise de conscience éthique et politique dans nos universités et dans la société civile, il reste que pour consolider une telle conscience la gauche ne doit pas se limiter à parler le langage logico-conceptuel. Elle doit apprendre (ou réapprendre) à parler également les langages du «sensible» et tous les autres langages de nature symbolique (comme celui de l’art, de la musique, de la poésie). Ces langages ont toujours alimenté les projets de vie et de futur se nourrissant d’affectivité et d’émotions, autant de vecteurs décisifs pour une action transformatrice sur le monde.

Sous l’urgence d’une actualité qui nous interroge toutes et tous, et en proposant cette interrogation sur mode artistique, un tel dialogue sert à rouvrir en Suisse le débat sur les modèles humains, les référents éthiques, symboliques et politiques d’une gauche qui veut constituer une véritable alternative à la culture néolibérale dont les effets dévastateurs, à niveau humain et social, sont évidents.

Silvia Mancini
Professeure associée d’Histoire comparée des religions à l’Université de Lausanne. Spécialiste des traditions religieuses marginalisées et transversales, elle travaille depuis plusieurs années sur des institutions et pratiques magico-religieuses urbaines au Mexique, ainsi que sur les productions symboliques à l’interface du politique et du religieux à Cuba.