Colombie

Colombie : Grève victorieuse contre une multinationale suisse

Les salarié·e·s des mines de charbon de Prodeco en Colombie – une filiale de la multinationale helvétique Glencore – ont mené une grève victorieuse en novembre dernier. Un exploit pour un pays dans lequel à peine 5 % des salarié·e·s sont organisés sur leur lieu de travail et où l’on dénombre quelque 4 000 syndicalistes assassinés au cours des vingt dernières années. Un exploit surtout au regard de la puissance du géant des matières premières Glencore.

A l’origine du conflit, un cahier de revendications élaboré début octobre par le syndicat Sintracarbon, réclamant de meilleures conditions de travail pour les employé·e·s ­des mines de charbon de Calenturitas, dans le nord de la Colombie. Après vingt jours de négociation, la direction de Prodeco décide unilatéralement d’appliquer une convention collective incluant des conditions de travail inférieures aux standards minimums légaux, pourtant ratifiés par le gouvernement. L’alternative pour les salariés est de faire grève ou de s’en remettre aux autorités pour l’arbitrage du conflit. Malgré les harcèlements et les intimidations – l’entreprise interdisant notamment aux responsables syndicaux d’organiser le scrutin – l’entrée en grève est votée le 17 novembre par plus de 97 % des sa­la­rié·e·s. Neuf jours plus tard, les 1 200 em­ployé·e·s obtiennent une augmentation de salaire, une amélioration de la sécurité sur leur lieu de travail, ainsi que le renforcement du droit d’association et de grève.

Mines prospères…

Un succès à savourer d’autant plus que, quelques mois auparavant, il n’existait encore aucune section syndicale dans les mines de Calenturitas. En effet, plus de 90 % des multinationales implantées en Colombie ne connaissent aucune activité syndicale ; le gouvernement est toujours prompt à se ranger du côté des entreprises, en déclarant notamment les grèves illégales.

Prodeco a exercé des pressions sur ses em­ployé·e·s relevant de l’arrogance la plus crasse, allant jusqu’à affirmer que la grève aurait un impact négatif sur la rentabilité. Troisième entreprise minière du pays, Prodeco bénéficie en effet de coûts de production parmi les plus bas du monde. Le prix de vente d’une tonne de charbon sur le marché est d’environ 100 dollars US. En revanche, le coût de production de cette tonne ne dépasse pas les 15 dollars… dont cinq à peine sont destinés aux salaires. En 2010, Prodeco a produit 5 millions de tonnes de charbon dans les seules mines de Calenturitas. Si l’on ajoute celles de La Jagua – autre site minier de Prodeco dont les employé·e·s ont obtenu l’entrée en vigueur d’une convention collective suite à une grève – la production se monte à 10 millions de tonnes. L’entreprise mère Glencore reconnaît réaliser d’excellents bénéfices sur ces deux sites, qui vont d’ailleurs profiter d’investissements conséquents au cours des prochaines années.

…et politiques antisyndicales

Les agissements antisyndicaux de Glencore ne datent pas d’hier et sont dénoncés partout dans le monde. Ils se cumulent au bilan déjà sinistre de l’entreprise en matière d’impact sur l’environnement et de conditions de travail. Ironie de l’histoire : en 2008, la multinationale suisse se voyait décerner le « Public eye Award » de la Déclaration de Berne (sanctionnant les entreprises qui, « par amour du gain, méprisent les valeurs sociales et écologiques ») pour la façon dont elle maltraitait les employé·e·s de ses filiales minières en Colombie et polluait la région. Deux jours plus tard, Glencore publiait un rapport de cent pages vantant son engagement écologique et social…

La réalité est tout autre. Dans les mines colombiennes, par exemple, Glencore n’a pas respecté les directives de la Banque Mondiale sur le déplacement forcé des populations (stipulant qu’elles doivent cautionner le projet en amont et avoir la garantie de recevoir des terres équivalentes en échange). Cette pratique illégale et catastrophique pour les indigènes se fait avec l’appui du gouvernement colombien ; les paramilitaires servant à l’évacuation. Quant à l’impact environnemental de l’activité minière à ciel ouvert, il est désastreux : destruction des terres labourables et de la végétation, érosion des sols, pollution des nappes phréatiques et des cours d’eau, émanation de fines poussières dangereuses pour l’organisme, etc.

L’empire Glencore

Si Glencore n’a pas à s’inquiéter, c’est que la multinationale choisit des pays ultra-corrompus pour s’implanter : de la RDC à la Colombie, en passant par le Kazakhstan, Glencore a su s’accorder les faveurs des gouvernements pour mener à bien ses activités d’extraction minière hautement rentables. Le numéro un du négoce des matières premières, dont le siège est à Zoug, est donc également devenu un leader mondial de la production de ces mêmes matières. En prenant en compte les parts détenues par Glencore dans d’autres entreprises minières, pensons à Xstrata, également basée à Zoug, l’extraction est sa principale source de profits. Les marges réalisées dans ce secteur sont en effet nettement supérieures à celles du négoce. Sans parler des parts de marché de Glencore pour certains produits (60 % pour le zinc, 50 % pour le cuivre, 28 % pour le charbon) : elles sont si importantes qu’elles lui permettent à elles seules de faire grimper les prix mondiaux en jouant simplement sur ses stocks.

L’entrée en bourse de Glencore en mai dernier n’a, de l’aveu même de sa direction, en rien entravé ses méthodes. Grâce à une structure complexe de filiales et groupes appartenant à l’entreprise mère, elle réussit aisément à masquer – au public et surtout au fisc – une large part de ses comptes via des transactions intragroupes. Les allègements fiscaux dont elle bénéficie en territoire helvétique lui assurent de beaux jours devant elle. Le quotidien des milliers d’employé·e·s des mines aux quatre coins du globe reste en revanche bien sombre. A moins que les travailleurs·travailleuses de Prodeco n’aient ouvert une brèche ?

Giulia Willig