Une situation inextricable

Le système mis en place par la Suisse pour se protéger des migrations forcées est inhumain, inefficace et très coûteux, bref aberrant. Cependant les politiciens ne trouvent pas d’autres solutions que de renforcer encore ces mesures, aggravant sans fin les problèmes et les souffrances.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a publié un rapport sévère de ses observations sur la situation en Suisse. Faisant partie du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels depuis 1992, la Suisse a pour obligation de rendre un rapport tous les cinq ans au Comité chargé de contrôler le respect de ce Pacte. Outre les nombreuses failles de la Suisse (inégalités femmes·hommes, absences de mesures efficaces contre le chômage, fragilité du droit de grève, faible protection des femmes et des enfants victimes de violences, etc.) qu’il signale, le Comité exprime sa préoccupation des conditions de vie des demandeurs d’asile « contraints de vivre dans des abris nucléaires souterrains pendant toute la durée de l’examen de leur demande, pour laquelle il n’y a pas de délai maximum ». Et ce rapport ne détaille pas le sort des débouté·e·s et des personnes qui ont reçu une décision de non-entrée en matière (les NEM). A ces personnes (pas seulement des hommes célibataires noirs et dealers, selon l’imagerie populaire, mais également des femmes et des enfants de toutes les parties du monde) qui ne peuvent ou ne veulent pas quitter la Suisse, le système réserve une situation infra-humaine, cette « aide d’urgence » destinée non pas à les aider mais à les enfoncer dans un état de détresse et d’humiliation qui devrait les obliger à quitter la Suisse… Las, cette mesure ne s’avère même pas efficace et nombre d’exclu·e·s restent, même si elles·ils deviennent invisibles…

La construction de l’invisibilité

La chercheuse en psychologie sociale et professeure à l’Université de Genève, Margarita Sanchez-Mazas, a mené une vaste étude sur cette population et les fonctionnaires chargés d’appliquer cette politique. Son livre « La Construction de l’invisibilité » vient de sortir aux Editions IES. Elle a récemment organisé une table ronde avec des représentants de l’Hospice général et de la Direction de l’action sociale qui appliquent les mesures de l’Office fédéral des migrations et du Département de M. Longchamp, ainsi qu’avec un conseiller national défendant la cause des réfugié·e·s, le Vert Ueli Leuenberger, et le responsable du secteur réfugiés du Centre social protestant, Aldo Brina, auparavant à l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers. Il rappelait qu’en 2009 une pétition « Aide d’urgence : Genève doit faire mieux » avait été adressée au Grand Conseil et que malgré les manifestations de rappels, elle n’est toujours pas prise en considération…

Soutenue par un intervenant de la salle, Jean-Pierre Hocké, ancien Haut-Commissaire aux réfugiés des Nations Unies, Margarita Sanchez-Mazas va organiser des ateliers pour tenter de faire avancer les dossiers. Un prochain Cahier EmancipationS sera consacré à son étude et permettra à nos lecteurs et lectrices de s’informer en détails sur le sort réservé aux hors la loi de l’asile.1

La Suisse dénoncée

Par ailleurs, Fernand Melgar, par ses films « La Forteresse » et « Vol spécial » a sensibilisé le public à l’enfermement inique et aux renvois forcés des requérant·e·s, formes de torture contraires aux droits humains. La pétition qu’il a lancée contre les vols spéciaux et pour la fermeture des centres de détention administrative, comme Frambois, a été déposée à Berne le 30 novembre aux pieds de Mme Sommaruga, en charge de cette politique.

Tout dernièrement, d’après un article de « L’Hebdo » (24.11), le chercheur américain Michael Flynn, a dressé pour le Graduate Institute à Genève un sombre tableau de ses observations sur la détention des sans-papiers. Il n’en revient pas du manque de transparence de la Suisse : « Non seulement la Confédération reconnaît ignorer l’étendue des centres de détention, mais cinq cantons ont refusé de me répondre » ! Le recours à la prison avant le départ forcé avait déjà été dénoncé en juin par le Comité suisse pour la prévention de la torture, après le Conseil de l’Europe.

Il est temps de relancer un vaste mouvement politique pour défendre une élémentaire part de justice et d’humanité dans l’asile !

Maryelle Budry

 

  1. Voir également le film de Charles Heller « NEM », tourné en 2006 dans les bois de Soleure

 

ELISA-ASILE

Pour prévenir, un tant soit peu, les injustices du droit d’asile, l’association genevoise ELISA-ASILE propose un accompagnement dans les démarches et une assistance juridique gratuite aux requérant·e·s. Composé d’un petit staff professionnel et de bénévoles, ELISA tient une permanence deux à trois fois par semaine dans les locaux des Tattes à Vernier, foyer actuellement attribué aux débouté·e·s. Une deuxième permanence existe, selon les arrivées, à l’aéroport de Genève, au moment du dépôt de la demande d’asile. Une troisième permanence s’ouvre début décembre en ville, particulièrement destinée aux requérant·e·s en attente d’une décision de première instance, afin de les aider à constituer un dossier solide avant l’audition à l’ODM, et aux requérant·e·s frappé·e·s d’une décision de non entrée en matière, ayant transité par un pays tiers.

ELISA-ASILE cherche toujours des bénévoles, tant pour l’accueil aux permanences que pour l’assistance juridique. Voir www.elisa.ch