Face au sexisme ordinaire, les féministes françaises ripostent

« Un troussage de domestique », recueil de 23 contributions féministes, coordonnées par Christine Delphy, Collection « Nouvelles questions féministes », Editions Syllepse, Paris, 2011, 182 pages.

14 mai 2011, coup de tonnerre dans tous les medias : le candidat favori du PS et de l’opinion publique à la présidence de la République est arrêté à New-York. L’homme blanc, riche et puissant, est écroué pour violences sexuelles envers une femme de chambre noire, émigrée, travailleuse pauvre. La presse française et les caciques du PS, les femmes comme les hommes, s’affolent et témoignent à cette occasion leur mépris des femmes qui n’a d’égal que leur arrogance de classe. Comme l’écrit très bien la sociologue Christine Delphy : « ce fut l’occasion pour beaucoup de dire tout haut ce qu’on ne croyait même pas qu’ils pensaient encore tout bas ».

Florilège de citations :

  • Il n’y a pas mort d’homme (Jack Lang)
  • J’en veux au juge américain qui a fait semblant de penser qu’il était un justiciable comme un autre ; en pleine tourmente financière, il est sur la sellette pour une affaire de jupon (­Bernard-Henry Lévy)
  • Je pense d’abord à l’homme (Ségolène Royal)
  • Et le fameux : « Ce n’est qu’un troussage de domestique » de Jean-François Kahn.

C’est cette dernière phrase qui donne le titre du recueil de textes féministes, écrits sur le vif, durant l’été, par Christine Delphy et une vingtaine d’autres plumes : Gisèle Halimi, Clémentine Autain, Sabine Lambert, Sylvie Tissot, Christelle Hamel, etc.

Le viol reste impuni

Durant cette période plus encore qu’en temps ordinaire, les médias révèlent leur véritable nature, sexiste, raciste, classiste et démontrent une haine de la femme si « évidente » qu’on ne la voit même plus. Quand un fait de violence sexuelle émerge dans la presse, il est généralement banalisé. Les hommes qui violentent les femmes ne sont pas considérés comme des délinquants, mais comme des maris qui châtient à juste titre leur compagne ou des libertins bien français, à l’instar de DSK.

Quand bien même il existe maintenant des lois condamnant le viol, il est très rarement poursuivi comme un crime. On estime 75 000 viols par an en France. 10 000 donnent lieu à une plainte, et 2 000 seulement aboutissent à une condamnation. La presse s’inquiète des fausses accusations dont pourraient être victimes les hommes et beaucoup moins des vraies victimes. Dans la société française, qui a eu un mot de compassion pour la victime du « rapport forcé » Nafissatou Diallo ? Seules les féministes y ont pensé.

De plus, quand le viol est abordé dans la presse et les conversations, il est alors l’apanage des couches inférieures de la société, le violeur est présenté comme un homme d’ailleurs, un étranger, qui ne se conforme pas aux « valeurs essentielles de la communauté française », qui « ne respecte pas l’égalité homme-femme telle qu’elle se conçoit dans la République », a eu l’outrecuidance de déclarer le ministre Claude Guéant, en refusant la nationalité française à un Algérien violent : « Violeur au delà du périph, séducteur en deçà ».

Les féministes ?prennent la rue

Durant l’affaire DSK, la caste des hommes se défend contre l’attaque « puritaine » de la justice américaine et se gausse d’un juge qui prend au sérieux la parole d’une femme de chambre. On vante aussi beaucoup la présomption d’innocence dont devrait bénéficier DSK, sans jamais parler de celle de la femme considérée comme une « menteuse ».

Ce « Un troussage de domestique » fort passionnant analyse le sexisme ordinaire de la société française (et la Suisse romande est bien imprégnée de culture française !) et rend compte de la réaction féministe, très rapide, après la nouvelle stupéfiante. A l’encontre des socialistes qui défendent avant tout leur leader, les féministes descendent dans la rue dès le 22 mai et organisent leur riposte dans la presse. Peu à peu leur argumentaire en faveur du respect et de la liberté des femmes gagne du terrain. Un Jean-François Kahn, par exemple, recule et fait son autocritique. Les féministes françaises rendent hommage à leurs consœurs américaines qui ont su gagner l’opinion publique de leur pays à la gravité des violences sexuelles et à les faire admettre comme des actes punissables.

Après un verdict injuste,?la lutte continue

Mais la justice américaine a aussi ses tares, et finalement le violeur international peut rentrer chez lui, en agitant triomphalement la main à l’aéroport, accompagné de sa fidèle et admirable épouse, célébrée comme une héroïne, une « vraie femme ». Cependant, la réaction cinglante des féministes françaises a ouvert les vannes de la parole des femmes. Des journalistes, des parlementaires ont osé révéler le sexisme de leurs milieux, les couleuvres qu’elles se sentent obligées d’avaler pour garder leur place. Le combat contre le viol a repris, une loi cadre va être proposée en France. Les femmes françaises acquièrent un nouveau regard sur la banalisation des violences sexuelles qu’elles ont dû subir et beaucoup rejoignent le combat féministe.

Un soutien inattendu aux féministes françaises leur est venu d’Ukraine ! Les fabuleuses ukrainiennes de Fenem sont venues tout récemment jusque devant la porte de DSK, Place des Vosges à Paris, déguisées en femmes de chambres de revue sexy. Elle ont clamé leur indignation et leur colère, puis sont reparties en criant à travers Paris « Vive la liberté des femmes ! »

Il vaut la peine de regarder leur courageux happening sur internet et de suivre leur exemple, après la lecture de « Un troussage de domestique ».

Maryelle Budry