Prévoyance

Prévoyance : Qui payera les pots cassés ?

Nous nous sommes entretenus avec André Babey, un des représentants du SSP (syndicat des services publics) dans le conseil d’administration de Prévoyance.ne où la pilule s’annonce amère. Belles empoignades en perspective.

Les travaux d’une commission du conseil d’administration ont été rendus publics. De quoi s’agit-il ?

Le mandat de la commission était d’évaluer et de proposer des moyens d’aboutir à un taux de couverture de 80 % d’ici 40 ans, en 2050. Le taux de couverture actuel est inférieur à 55 %. La commission a présenté cinq scénarios qui envisagent un mélange de remèdes en proportions variables: augmentation des cotisations des as­su­ré·e·s actifs·ves, ordinaires ou extraordinaires, augmentation de l’âge de la retraite, participation de l’Etat, suppression totale ou partielle de l’adaptation des rentes au coût de la vie.

En préalable à toute réforme du financement, les scénarios prévoient une réserve des fluctuations de valeur (obligation légale) de 270 millions à charge des employeurs, ce qui aurait du être fait depuis longtemps. L’Etat pourrait le faire par le biais d’un emprunt.

Pour quelles raisons le taux de couverture a-t-il baissé si brutalement ?

D’abord, nous payons les dettes du passé. Quand l’âge de la retraite des hommes a été baissé de 65 à 62 ans en 1990 (les femmes y étaient déjà), il aurait fallu augmenter les cotisations. L’Etat (l’employeur) s’y est refusé car il ne voulait pas augmenter sa contribution. Le calcul actuariel prévoyait une cotisation totale de 22 % (60 % à charge de l’employeur et 40 % à celle du salarié), le Grand Conseil a voté une cotisation de 19 %. Le Grand Conseil, sur proposition du Conseil d’Etat et contre l’avis du Conseil d’administration de la Caisse, a piqué dans la caisse pendant plusieurs années, les montants servant à l’indexation des rentiers alors que l’Etat devait payer l’indexation selon la loi. Résultat pour cette opération aujourd’hui, un trou supplémentaire de 180 millions. La prise en charge de la retraite anticipée des personnes travaillant dans des professions pénibles et qui ne sont plus en état de travailler n’a pas été couverte par une assurance de l’employeur mais mise à la charge de la caisse de pension (cela représente 20 millions). L’Etat a par ailleurs utilisé sans précaution la caisse de pension pour sa politique de rachat/construction d’immeubles, ce qui a entraîné des pertes énormes pour la caisse.

La chute des marchés en 2008 et maintenant en 2011 a évidemment fait plonger le taux de couverture, comme pour toutes les caisses de pension. Tout cela est virtuel, puisque la caisse n’a pas vendu d’actions, mais la valeur de ces actions a baissé.

Faire des projections à 40 ans sur le taux de couverture, n’est-ce pas un peu gratuit quand on voit les défis auxquels sont confrontés les économies ?

80 % de taux de couverture dans 40 ans, c’est une exigence légale. Les prévisions sur le futur se basent sur les résultats des années passées et c’est vrai que personne ne peut prédire ce qui va se passer ces prochaines années, car la crise est globale. Nous ne sommes pas des voyants ! Il est clair qu’avec un taux de couverture de 80 % nous serions plus à l’aise pour gérer la caisse, en particulier pour nous mettre à l’abri des velléités d’augmenter l’âge de la retraite.

Face à ces propositions de mesures, quelles sont vos réactions ?

On nous dit que la retraite à 62 ans ne doit pas être un tabou. Nous on s’est battu pour l’obtenir et il n’est pas question de revenir sur cet acquis à cause la crise financière. Pas de cadeau à la crise. Beaucoup d’assuré·e·s ont des difficultés dans leur travail et ils·elles arrivent usé·e·s à 60 ans. Augmenter l’âge de la retraite ne passera pas pour le personnel. D’ailleurs la charge pour l’employeur serait aussi considérable, car les dernières années sont celles où les salaires sont les plus élevés et où le personnel a le plus de difficultés. De même, la suppression totale de l’indexation des rentes n’est pas acceptable. Nous sommes partisans d’une solution qui garantisse l’indexation des rentes pour les bas revenus, qui pourrait se faire sous la forme d’un montant uniforme de réajustement pour toutes et tous, qui corresponde au moins au réajustement des basses rentes (2000 fr.).

 


La caisse de pension de tout le secteur public et para-public du canton de Neuchâtel fait la une des médias. Une commission interne, présidée par J-P Ghelfi, PS et ancien président de la BCN, vient de publier ses travaux. La situation de la caisse de pension est loin des nouvelles exigences légales concernant le taux de couverture. Prévoyance.ne n’a pas de problème particulier, puisqu’elle encaisse plus de cotisations qu’elle ne verse de rentes. N’empêche : aucune des variantes soumises à discussion au niveau des « partenaires » et du Grand Conseil n’évite des sacrifices sérieux pour les assuré·e·s. Faire payer le personnel pour garantir un taux de couverture de 80 %, au lieu de regrouper toutes les caisses en une caisse unique en Suisse où il n’y aurait plus besoin d’accumuler des capitaux énormes et où on pourrait avoir un taux de couverture beaucoup plus faible, ce qui serait plus favorable pour tous les assuré·e·s et limiterait la spéculation dévastatrice. On s’approcherait ainsi diablement d’une AVS bis, ce que nous préconisons contre tous les défenseurs obstinés du deuxième pilier dans sa version actuelle. En attendant, notre position reste minoritaire, mais il faut bien voir que ce sont les salarié·e·s et les retraité·e·s qui en pâtissent.

HVu