Licenciements en cascade

Les annonces de licenciements et suppressions d’emplois (Kudelski, Novartis, Bobst) dans le canton de Vaud, se sont succédées ces derniers mois. Les tra-vail-leurs·euses sont notamment appelé·e·s à accepter la perte de leur emploi comme une fatalité imposée par un évènement extérieur insaisissable, la hausse du franc suisse. Une analyse plus précise permet de mettre en lumière d’autres facteurs et surtout le principal objectif de ces entreprises : sauvegarder leurs marges bénéficiaires.

Les grandes entreprises de l’industrie d’exportation sont parfaitement en mesure de supporter une hausse du franc suisse pour autant qu’elle soit progressive et non brutale, comme cela s’est passé cet été avant que la Banque nationale ne fixe un cours plancher de 1 franc 20 pour un euro. L’industrie horlogère, dont la production est entièrement basée en Suisse, aurait logiquement dû être la plus touchée par la hausse du franc. Or les exportations de montres continuent leur forte croissance.

Ceci montre que les véritables causes de ces suppressions de postes sont à rechercher dans la stag­nation ou le recul des débouchés. Après le net recul de l’activité industrielle en 2009, la reprise de la production et des profits a été rapide en 2010, mais de courte durée. La crise économique et financière mondiale, loin d’être dépassée, continue de déployer tous ses effets délétères (la spéculation sur le franc en est une parmi d’autres) et la reprise de la demande est faible et discontinue.

Comme le souligne François Pilet dans Le Temps du 24 août 2011, « le franc fort n’est en réalité pas le seul souci de Kudelski. L’entreprise de Cheseaux fait également face à une baisse progressive de ses revenus et de ses marges. Pour le secteur de la télévision numérique, la chute des devises n’explique en effet la baisse des ventes que pour moitié, et le chiffre d’affaires toutes activités confondues, hors effets de change, affiche un recul de 8,5 % ». Au premier signe de retournement de la conjoncture, les entreprises exportatrices licencient sans passer par le chômage partiel, contrairement à ce qui s’est passé en 2009. Pour Novartis, la délocalisation programmée de l’entreprise de Nyon-Prangins vise à anticiper une baisse possible des ventes tout en voulant assurer la maximisation du taux et de la masse de profits.

La lutte plutôt que le soutien gouvernemental

Le choc traumatique provoqué par ces licenciements favorise la prise de conscience de l’illégitimité d’un système qui veut préserver le profit privé capitaliste à tout prix. Les travailleurs·euses de Novartis bénéficient d’un fort élan de soutien de la population. La manifestation du 12 novembre, qui a réuni 2500 personnes en ville de Nyon, le prouve bien. Les salarié·e·s de Novartis auraient tout avantage à suivre l’exemple du personnel de SAPAL à Ecublens (machines pour l’emballage alimentaire), lequel s’était battu de manière décidée il y 10 ans contre la fermeture de son usine décidée par le groupe SIG. Après un mois de lutte et de grèves partielles (les travailleurs·euses se réunissaient quotidiennement en assemblée générale pendant les heures de travail entre 12 h et 15 h), ils avaient réussi à faire annuler la décision de fermeture. Par contre, déléguer la défense de la cause du personnel de Novartis, comme le fait Unia, au Gouvernement vaudois et remettre au goût du jour la sacro-sainte paix du travail n’entamera en rien la détermination des dirigeants de Novartis. La décision des employé·e·s de faire une grève d’avertissement le mercredi 16 novembre, pour protester contre le refus du patron de Novartis, Joe Jimenez, de rencontrer le personnel, montre que celui-ci ne craint plus de recourir à l’action directe.

Liberté syndicale bafouée et accords douteux

De son côté, Bobst se vante de pouvoir supprimer 420 postes de travail sans procéder à aucun licenciement (non remplacement des départs, plan de retraites anticipées dès 63 ans). Un accord a été négocié dans la plus grande discrétion avec Unia et l’Etat. Le personnel concerné n’a pas été consulté et a été informé des décisions après la presse. La surprenante autosatisfaction affichée des partenaires sociaux ne saurait cacher le licenciement des intérimaires, le non renouvellement des contrats de durée déterminée et les nombreux licenciements qui interviendront dans les entreprises sous-traitantes de la région, privées des commandes de leur principal client.

Autre fleuron de l’industrie mécanique, l’entreprise TESA (groupe Hexagon Metrology) à Renens veut faire travailler son personnel gratuitement 5 heures de plus par semaines. Pour casser la résistance de son personnel qui n’en veut pas, elle vient de licencier deux syndicalistes, membres de la Commission du personnel. Leur réintégration immédiate est une exigence élémentaire. Ce scandale souligne à nouveau les graves carences du droit du travail en Suisse, s’agissant aussi bien de l’absence d’une réelle protection contre les licenciements anti­syndicaux que contre les licenciements collectifs.

Pierre-Yves Oppikofer