Élections nicaraguayennes

Élections nicaraguayennes : Victoire du FSLN sur la droite

Dépassant tous les pronostics, y compris les plus sophistiqués, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) a remporté les élections du 6 novembre. Avec plus de 62 % des suffrages (loin devant les 30 % de l’alliance libérale – dissidents sandinistes), il reconduit pour la période 2012–2016 l’actuel président Daniel Ortega. Cette différence, jamais vue dans l’histoire post-révolutionnaire du Nicaragua, lui assure aussi une majorité qualifiée à l’Assemblée nationale (60 députés sur 90). Quant à l’ex-président Arnoldo Alemán (Parti libéral constitutionnaliste), il est politiquement mort, son score atteignant à peine plus de 5 % des suffrages.

Les bilans des missions d’observation varient : assez positif pour la mission de l’Organisation des Etats américains. Celle de l’Union européenne relève le manque de transparence dans certains aspects du scrutin, tout en estimant positive la phase du vote dans 85 % des 559 bureaux électoraux inspectés. Un processus correct et une atmosphère calme, pour les missions de Via Campesina (72 participants) et des réseaux sociaux mondiaux.

« Ils n’acceptent pas la défaite »

L’Alliance libérale – Rénovation sandiniste, dirigée par le propriétaire de radio Fabio Gadea, n’accepte pas les résultats et parle d’« une fraude généralisée ». Elle prône une mobilisation citoyenne contre la « dictature orteguiste » afin d’obtenir l’annulation du scrutin, un appel relayé par certains de ses alliés (dont des ex-membres du FSLN, Dora María Téllez et Mónica Baltodano). Une partie de la presse internationale a relayé les dénonciations des opposants, mais sans présenter les preuves concluantes d’une fraude.

Malgré ses limites et d’éventuelles erreurs, le système électoral nicaraguayen a fait des pas substantiels. C’est l’un des rares pays du monde où chaque titulaire figure au registre électoral, non seulement avec son nom, mais aussi avec une photo. D’autre part, les autorités électorales ont accepté le remplacement de 19 000 scrutateurs (sur un total de 25 000) hors de la date prévue pour l’enregistrement définitif de ces derniers. Dans la majorité des bureaux de vote, outre les 6 responsables, étaient présents au moins 3 des 5 scrutateurs désignés par tous les partis en lice.

« Il ne savent pas accepter la défaite, comme nous l’avons fait en 1990 », souligna le mardi 8 novembre le président Ortega.

Approfondir les acquis

Dans son intervention, Daniel Ortega a souligné qu’il maintiendra son programme gouvernemental et ne profitera pas de sa majorité parlementaire pour imposer des changements radicaux. Il a rappelé que cette victoire renforce géopolitiquement les forces progressistes du continent.

Quelle est la raison d’être d’un pays ? Chercher le progrès pour ses habitants. Quel est l’objectif d’un gouvernement ? Développer les efforts de tous les secteurs pour satisfaire des besoins comme la santé, l’éducation et la production.

Néanmoins, on ne peut produire n’importe comment : une production sans âme relève du capitalisme sauvage?; une production avec âme est « socialiste, chrétienne et solidaire », concept définissant le programme sandiniste à l’étape actuelle. Le président a signalé qu’en un an (du 26 octobre 2010 au 26 octobre 2011), les exportations nicaraguayennes se sont élevées à un montant de 2 milliards de dollars, avec un indice d’activité économique de 6,7 % : ces chiffres résultent du travail de l’ensemble des Nicaraguayen·ne·s. Depuis 2 ans, le Nicaragua dépasse les 4 % de croissance annuelle, l’un des chiffres les plus élevés de la région.

Qui sont les producteurs de la richesse ? Il n’y a pas d’activité productive sans travailleurs, sans activité des paysans, des coopératives, des petits, moyens et grands producteurs, a rappelé Ortega en soulignant cet axe de l’actuelle politique d’alliance sandiniste.

Les défis essentiels

Ces prochaines années, « je distingue trois défis fondamentaux pour le sandinisme et le gouvernement », relève Orlando Nuñez Soto1, analyste politique nicaraguayen connu, que nous avons interrogé pour solidaritéS.

« Premièrement, sortir le pays de la pauvreté dans une économie de marché capitaliste très agressive et sauvage, où le capital n’a pas besoin de main-d’œuvre ». Cela implique une très grande prudence, car « la croissance économique ne permet pas automatiquement de sortir de la pauvreté et de résoudre les inégalités structurelles. La lutte contre la pauvreté implique un travail quotidien. Il n’y a pas de moyens suffisants pour le faire. Cela implique de mettre la priorité sur d’autres acteurs socio-économiques, comme les travailleurs pour leur propre compte, qui produisent des revenus ».

Mais « nous devons penser à la sortie du système et à des alternatives stratégiques : une nouvelle forme de socialisme non-étatique, associatif, construit d’en bas. L’association des acteurs socio-économiques populaires peut se convertir en un contrôle réel du capitalisme sauvage actuel, usé et en récession. Je crois beaucoup aux travailleurs pour leur propre compte. Au Nicaragua, il s’agit d’un secteur majoritaire, qui crée la majorité des emplois et contrôle la plus grande partie du produit intérieur brut (le commerce, le transport, la terre, la production d’aliments). Ils savent que la prise de contrôle de l’économie ne peut se faire que de manière associative et autogérée ».

Autre défi fondamental : l’incorporation à un bloc régional, « parce qu’en Amérique latine il n’existe pas de souveraineté individuelle. Le pouvoir des USA et de l’Europe est si grand que notre unique possibilité, c’est de renforcer la souveraineté continentale. Nous devons nous unir, c’est une question de vie ou de mort ».

Troisième défi, élever le niveau culturel, « sans regarder les paradigmes européens ou étatsuniens, mais en créant une culture alternative, qui se réfère à d’autres valeurs, face à une civilisation dominante qui est en train de s’effondrer », conclut Orlando Nuñez.

Sergio Ferrari depuis le Nicaragua

Sites d’information sur l’Amérique centrale (en espagnol) :

  1.  Avec Roger Burbach, Orlando Nuñez Soto est l’auteur de : Quand l’Amérique s’embrasera : le Nicaragua au cœur d’un nouveau projet révolutionnaire (Montreuil, La Brèche-PEC, 1989). Hormis cette œuvre, tous ses ouvrages et articles, publiés au Nicaragua, ne sont disponibles qu’en langue espagnole.

 

A propos du FSLN « chrétien, socialiste et  solidaire »

Le premier mandat de Daniel Ortega (dès 2007) n’a pourtant pas été exempt d’ambiguïté. Avec son
nouveau discours profondément religieux, quasi-charismatique, le président a tenté de faire oublier
le marxisme des années 1980 en évoquant à grands traits un Nicaragua «chrétien, socialiste et solidaire». Une évolution qui a des conséquences, notamment pour les femmes. On rappellera ici l’abolition de l’avortement thérapeutique. Prix fort payé par le FSLN, à la veille des élections de 2006, pour sa nouvelle alliance avec les Eglises, notamment la hiérarchie catholique, mais contesté par les mouvements
féministes au Nicaragua et à l’extérieur.

SFi