Deuxième pilier

Deuxième pilier : Un référendum pour rien ?

En mars 2010, plus de 72 % des votant·e·s ont refusé par référendum une baisse du taux de conversion du deuxième pilier, lançant ainsi un clair signal contre toute baisse des rentes. Une année et demi plus tard, à peine les élections fédérales passées, le Conseil fédéral fait fi de la volonté populaire en décrétant une réduction du taux d’intérêt minimal sur les avoirs du deuxième pilier.

En 2010, malgré les millions dépensés dans la campagne, la majorité bourgeoise reçoit une véritable gifle : il faut remonter à 1992 pour observer un refus à plus de 70 % d’une proposition gouvernementale (et encore, il s’agissait à cette date d’un référendum porté par la droite contre les indemnités des députés). Les observateurs ayant la naïveté de croire que la volonté populaire exprimée à cette occasion allait être respectée par les autorités en sont aujourd’hui pour leurs frais.

C’est que le système de retraite par capitalisation, de par l’ampleur des sommes gérées – depuis 1998, les avoirs des fonds de pension dépassent le PIB helvétique – représente un enjeu central pour les assureurs privés, dont les revendications trouvent systématiquement l’oreille de la majorité bourgeoise aux chambres fédérales. Compte tenu de la votation de 2010, il aurait fait désordre de la part des autorités de revenir directement à la charge via une baisse du taux de conversion (le taux actuel de 6,9 % garantit que sur un capital de 100 000 francs un retraité touche 6900 francs par année). Heureusement pour ces dernières, d’autres leviers existent pour s’attaquer aux rentes. Le Conseil fédéral a ainsi choisi d’agir – c’est un premier pas – via un abaissement du taux d’intérêt minimal que les caisses de pension sont tenues de servir sur le capital vieillesse épargné par les cotisant·e·s, qui passera de 2 % à 1,5 % (ce taux était encore de 4 % en 2002). Cela profite bien sûr directement aux assureurs dans la mesure où ils peuvent désormais garder pour eux la différence entre les intérêts réels (par exemple 3 %) et les 1,5 % à reverser aux assuré·e·s. Pour éviter toute mauvaise surprise, les autorités ont en outre décidé d’agir par voie d’ordonnance afin de contourner le droit de référendum.

Cette mesure s’inscrit dans une série de réformes qui, depuis 2003 – avec la diminution du taux de conversion cette même année, puis une série de baisse du taux d’intérêt minimal et enfin une action sur la réserve de fluctuation de valeur qui s’est répercutée sur l’indexation des pensions  – ont abaissé les rentes promises aux futurs retraités d’environ 25 %. En 2012, le Conseil fédéral a d’ores et déjà promis de revenir à la charge sur la baisse du taux de conversion, qui sera flanquée de « mesures d’accompagnement » destinées à accroître le capital sous gestion du 2e pilier via une augmentation des cotisations (NZZ, 6.8.2011).

Tromperies

Le fait d’invoquer la chute actuelle des cours de la bourse pour justifier une telle mesure n’est pas un argument recevable, dans la mesure où une caisse de pension est gérée sur un horizon de 40 ans. De plus, cet argument peut être facilement retourné contre ceux qui l’invoquent puisqu’en Suisse, durant ces 20 dernières années, la capitalisation boursière a été multipliée par 6, passant de 200 à 1200 milliards. Mieux, les sommes perçues par les actionnaires au titre de dividendes ou de rachat de titres par les entreprises ont été multipliées par 10, passant de 5 à 50 milliards par an. Comment enfin justifier un rendement si bas quand par ailleurs les intérêts des avoirs du 3e pilier A (non-obligatoire et défiscalisé) sont rarement fixés en-dessous de 2,5 % ?

Le second argument sans cesse mis en avant par les milieux bourgeois est celui de l’allongement de l’espérance de vie. Dans Le Temps du 7 novembre dernier, le directeur des Retraites populaires affirme : «L’allongement constant de l’espérance de vie est un élément incontournable de la réflexion sur l’avenir du 2e pilier, car il compromet le financement à long terme des prestations. Le taux de conversion doit être adapté.» Le croisement de deux chiffres permet de battre en brèche ce refrain mensonger : l’espérance de vie à 65 ans augmente en moyenne de 0,5 % par an, et l’augmentation annuelle moyenne des richesses produites (PIB) depuis 1985 de 3,2 %. En d’autres termes, on produit chaque année près de sept fois plus de richesses que ce qui est nécessaire pour financer l’élévation de l’espérance de vie. De plus, l’allongement de celle-ci est intégré depuis longtemps dans les calculs actuariels (notamment via les « tables de mortalité ») et ne peut être invoqué pour justifier à court terme une baisse du taux de conversion.

Perspectives

Pour nécessaire qu’elle soit, la défense immédiate des rentes du 2e pilier ne saurait faire oublier que le système de retraite par capitalisation est foncièrement antisocial, dans la mesure où il confie l’épargne des travailleurs et des travailleuses aux capitalistes, sans aucun principe de solidarité collective, tel qu’il est au contraire garanti par l’AVS et son modèle de retraite par répartition. L’ensemble de la gauche politique et syndicale doit donc combiner la défense immédiate des rentes et la promotion à moyen terme d’une alternative globale au système actuel, fondée sur la généralisation d’un système par répartition, avec maintien des avantages acquis. On ne peut que déplorer l’absence d’une telle perspective au sein des directions syndicales : la récente reconversion professionnelle de la dirigeante de l’Union syndicale suisse Colette Nova à l’Office fédéral des assurances sociales n’est qu’un symptôme de plus de l’adhésion des hautes sphères de la bureaucratie syndicale au système de retraite promu par les capitalistes helvétiques : Colette Nova, qui il y a quelques mois dénonçait le « pillage des rentes » vient d’affirmer que le « taux de conversion devrait être réduit rapidement » (24 Heures, 8.11.2011).

Hadrien Buclin