Yes, we camp !

Le mouvement des indigné·e·s prend de l’ampleur à Genève. Au parc des Bastions, le campement compte une quarantaine de tentes, un tipi, des espaces communs, une cuisine et même une petite bibliothèque. Des AG ont lieu tous les jours à 20 h pour gérer le fonctionnement du camp et débattre de la situation sociale et politique locale et globale. Nous avons recueilli les impressions de Jean Bürgermeister, un étudiant qui s’investit activement dans le mouvement.

Pourquoi t’indignes-tu ?

Je suis révolté contre les prix des logements, des assurances maladies, l’organisation du système universitaire, etc. c’est-à-dire contre la société dans laquelle on vit. Cette accumulation de problèmes provoque un malaise quotidien chez beaucoup de gens, en particulier chez les jeunes. Cette frustration n’a pas été exprimée collectivement depuis longtemps. Cela est la conséquence de dysfonctionnements généraux liés au système capitaliste mondialisé, qui a entraîné une marchandisation de la vie, du travailleur en particulier. Le système tourne autour de l’intérêt des entreprises, pas de l’être humain. C’est ça qui me dérange.

Qu’est-ce qui t’a poussé à rejoindre le campement des indignés ?

Ce qui m’a attiré dans ce mouvement, c’est le fait qu’il soit très ouvert et encore en phase de construction. On est en train de chercher des réponses à ces problèmes, après les avoir identifiés plus précisément. Chacun amène son indignation, ses idées, son expérience, c’est stimulant et motivant de découvrir ce nouvel espace de contestation.

    Le côté international me semble également très important. Si on veut un changement radical de société, c’est difficilement faisable dans un seul pays. Il faut saisir l’occasion de l’indignation mondiale actuelle pour renforcer le mouvement et tisser des liens avec les indignés d’autres pays. C’est une structure de lutte qui est nouvelle et qui me plaît.

Comment se passe la vie au campement ?

La manière dont il est organisé, c’est déjà la concrétisation d’un certain nombre d’idées du mouvement. En soi, c’est déjà très positif et ça envoie un message fort vers l’extérieur. Le campement est entièrement libre, tout le monde peut y être logé et participer aux activités, quel que soit l’âge, la nationalité ou la profession. La nourriture est distribuée gratuitement à tout le monde. Il n’y a pas d’obligations non plus quant à l’engagement. Chacun est libre de s’engager comme il le veut ou comme il le peut. Tous les soirs, en assemblée, nous discutons de l’organisation pratique du camp mais aussi et surtout de questions politiques. Tous les participants sont libres de faire des propositions ou de lancer un sujet de discussion.

    Nous avons également mis en place une série de formations, qui ont lieu tous les jeudis soir ainsi que les dimanches après-midi. De plus, tous les samedis nous avons une assemblée générale à 14 h puis à 16 h nous tenons une séance d’information destinée à toute personne intéressée.

Quelles perspectives vois-tu pour le mouvement ?

C’est très difficile de le dire ! Pour le moment, on n’a pas voulu formuler de revendications très claires, car nous ne voulons pas devenir une force politique traditionnelle. Je suis très sceptique, comme la plupart des autres indignés, quant à la possibilité d’un changement radical par les urnes, étant donné le manque de transparence des partis politique et ses liens avec le monde de la finance. C’est pareil pour l’information véhiculée par les médias, qu’on juge biaisée. De plus, au sein du mouvement s’exprime une pluralité de points de vue. Même si nous partageons le même but final, les moyens pour y parvenir font débat. Certains sont très hostiles aux partis politiques, d’autres ont déjà des expériences de militantisme, d’autres encore sont révoltés depuis longtemps mais n’ont jamais trouvé de structure qui correspondait à leurs attentes. Et puis le débat démocratique, ça prend du temps ! Pour le moment, on essaie d’élargir le mouvement et de le renforcer, mais surtout de dire aux gens que ce qu’ils considèrent parfois comme « naturel » ne l’est pas : le capitalisme n’est pas une fatalité. Beaucoup disent qu’en Suisse, il n’y a pas de raisons de s’indigner. Nous luttons pour dire le contraire, que nous vivons dans une société inégalitaire, qu’il y a de terribles lacunes dans le droit du travail, et ainsi de suite. Et en disant ça, on essaie de redonner l’espoir, qu’il est possible d’envisager un autre mode de fonctionnement.

A ton avis, quels éléments doivent être mis en avant ?

Nous voulons remettre l’être humain au centre la société, à la place de l’économie. Autrement dit, nous voulons une production axée sur les biens utiles pour la population, et non sur le profit des entreprises et des banques. C’est quelque chose qu’on ne peut pas envisager avec un Etat capitaliste : il faut transformer radicalement la structure de la société. Je crois qu’on doit cibler des problèmes concretsqui touchent le plus grand nombre : les conditions des travail, la question de l’écologie, les moyens d’information, la transparence des institutions politiques et financières, par exemple.

    L’aspect international est également très important. A mon sens, on n’a pas encore réussi à en faire une vraie force, même si les contacts avec d’autres indignés dans le monde s’intensifient. Ce mouvement n’aura d’impact que s’il dure dans le temps, s’il parvient à mobiliser plus largement et à mieux s’organiser. J’espère vraiment que ce sera le cas.

Propos recueillis par Giulia Willig