Une crise sans fond ?

En 2008, les « actifs pourris » des banques
– issus d’une spéculation sur les dettes
hypothécaires de ménages US trop appauvris par la baisse
de leurs salaires depuis plus de 30 ans pour être capables de les
rembourser – avaient déclenché une crise bancaire
majeure. Pour éviter que Lehman Brothers n’entraîne
dans sa chute l’ensemble du système financier
international, les Etats avaient renfloué massivement les
instituts bancaires, leur permettant de renouer rapidement avec les
bénéfices, sur le dos des contribuables.

    En 2011, il y a comme un air de déjà
vu. A nouveau, des « actifs pourris »
menacent de mettre les grandes banques européennes à
genoux. Cette fois, ce ne sont plus des crédits
hypothécaires impayés qui donnent des sueurs froides aux
banquiers et gouvernants, mais des titres de la dette publique –
grecque, mais aussi italienne, espagnole, portugaise et pourquoi pas,
demain, française ou britannique. Ces titres, les banques les
ont achetés massivement à des fins spéculatives;
ces trois dernières années. Pourquoi ? C’est
que précisément, les Etats ont dû emprunter pour
renflouer les banques en difficultés. Emprunter à
qui ? Aux banques pardi!

    Le « plan de sauvetage
européen » en plusieurs tranches de prêts
accordés à la Grèce n’est donc pas là
pour « sauver » ce pays, mais plutôt
pour sauver les grandes banques européennes ayant
spéculé sur les titres de la dette grecque et qui
craignent un défaut de paiement. Il va ainsi accroître
l’endettement des 17 Etats de la zone euro, qui a
déjà passé de 7100 milliards en 2010 à 7800
aujourd’hui, selon la Frankfurter Allgemeine (24.10.2011).

    Ce processus de sauvetage bancaire par les Etats
peut être résumé par une métaphore qui
parlera aux lecteurs helvétiques: c’est comme si un
randonneur (la banque) après un accident en montagne
était secouru par un hélicoptère de la REGA
(l’Etat). A ceci près qu’il faut imaginer dans cette
histoire que non seulement le randonneur ne paierait rien pour son
sauvetage, mais en plus, qu’il s’emparerait de
l’hélico et le vendrait aux enchères pour un bon
prix. Quant aux secouristes venus le tirer d’affaire, il les
dépouillerait de leur portemonnaie et, pourquoi pas, les
obligerait désormais à faire le ménage et le
repassage dans son chalet.

    Le procédé est si scandaleux
qu’on peut, à l’image d’un
éditorialiste du Financial Times, s’étonner que
l’« indignation » populaire ne
survienne que maintenant : « Pourquoi est-ce que
cela a pris autant de temps ?, s’interroge ainsi Martin
Wolf. Cela fait près de quatre ans que la crise
financière a commencé et ce n’est qu’à
présent qu’émergent, y compris à la
Cathédrale Saint Paul [de Londres], des mobilisations
anticapitalistes. Est-ce donc le début d’une
résurgence de la gauche ? » (27.10.2011).

    Certes, l’aide indirecte aux banques via un
fonds de sauvetage européen dresse un écran de
fumée susceptible d’aveugler les opinions publiques et de
contenir l’indignation, puisqu’on fait mine de sauver un
Etat endetté plutôt que les banques en embuscade
derrière lui. L’écran devient d’autant plus
opaque que les sociaux-démocrates se rallient au
procédé. Ainsi, en Allemagne, le SPD et les Verts ont
voté à plusieurs reprises les projets de
« sauvetage » promus par la très
néolibérale Angela Merkel; seule Die Linke les a
refusés. Les conditions fixées par Merkel étaient
d’ailleurs d’autant plus drastiques qu’elles
impliquaient le refus de nouvelles prérogatives bancaires des
pays de la zone euro, afin d’éviter tout signal de
relâchement de la politique d’austérité et
tout retour (aussi timide soit-il) de l’inflation. Sur de telles
positions, le SPD et les Verts allemands se trouvent de facto
« à droite » de Sarkozy.

    Mais ces plans de sauvetage, vraie garantie que les
Etats offrent sans contrepartie aux banques, suffiront-ils pour
éviter le défaut de paiement de la Grèce et une
nouvelle crise bancaire ? Rien n’est moins sûr,
comme l’a peut-être déjà
présagé le renflouement par la France et la Belgique de
la banque Dexia, qui avait été sauvée une
première fois en 2008 pour un montant de 6,4 milliards.

    L’austérité imposée au
peuple grec, d’une brutalité jamais vue depuis la
domination nazie sur le pays, précipite l’économie
dans la spirale d’une récession qui ne fait
qu’aggraver les déficits étatiques et rend le
paiement des dettes publiques de plus en plus improbable. Comme le
constate le Financial Times: « La zone euro risque un
raz-de-marée de crises bancaires et fiscales. Le Fonds
européen de stabilité financière ne pourra pas
l’empêcher. » (25.10.2011).

    Un observateur naïf pourrait certes saluer
l’accord intervenu lors du sommet européen du 26 octobre,
permettant à la Grèce de réduire sa dette de 350
à 250 milliards d’euros. Les banques passeraient-elles
enfin à la caisse ? En réalité, ce sont
à nouveau et pour l’essentiel les Etats qui ont
épongé ce rééchelonnement, via la mise sur
pied d’un nouveau « Fonds de secours de la zone
euro », qui a racheté aux banques une part des
prêts sur le point d’être annulés…

    Dans ce contexte, le référendum
proposé par Papandreou apparaît bien sûr comme une
manœuvre politicienne de la part d’un gouvernement
très affaibli, mais aussi comme le résultat de la forte
pression d’un mouvement social de grande ampleur (sept jours de
grève générale depuis le début de
l’année). Peut-on, à ce stade, parler de vrai choix
démocratique ? L’austérité
imposée à la population grecque doit être remise en
cause, mais cette question n’est pas celle du
référendum. Dans tous les cas,les réactions
scandalisées des chefs d’Etat européens à
cette annonce surprise et le plongeon boursier qui s’en est suivi
en disent long sur le caractère antidémocratique des
solutions à la crise que les gouvernements cherchent à
imposer : car, comme a benoîtement commenté un
journaliste, « personne n’avait pensé
à demander l’avis de la population grecque ».

Hadrien Buclin