La crise climatique n’est pas soluble dans le capitalisme

La crise climatique n’est pas soluble dans le capitalisme

De passage à Genève pour
une conférence organisée par l’Institut de
Recherche des Nations Unies pour le Développement Social
(UNRISD), Nicola Bullard, responsable avec Walden Bello de
« Focus on the Global South » (Bangkok), a
répondu à nos questions.

On parle beaucoup de promouvoir une nouvelle économie verte.
Comment cette question a-t-elle été débattue par
la conférence de l’UNRISD ?

Au cours de ces dernières années, nous avons beaucoup
entendu parler d’« économie
verte », envisagée comme une réponse aux
crises écologique, économique et sociale. Cependant, il y
a différentes manières de concevoir
l’« économie verte », et peu de
discussions  sur son impact social.
  
 Pour certains, « rendre l’économie
verte » s’apparente à une formule magique.
Ils·elles la voient comme une sorte de New deal vert, qui va
accélérer la transition vers des économies
à faible émission de CO2, créer de nouveaux
emplois propres et décents et réduire la destruction
environnementale. Néanmoins, tout le monde ne partage pas cette
approche. Pour d’autres, l’économie verte signifie
l’ouverture d’un nouveau secteur économique, qui va
stimuler la croissance atone, en particulier dans les pays du Nord.
Enfin, celles et ceux  qui défendent une perspective de
critique globale soutiennent que cette triple crise ne peut se
résoudre à l’intérieur du système
économique actuel et de ses institutions ;
l’« économie verte » ne
représente donc rien d’autre qu’un
« Consensus vert de Washington »
[Référence à l’ensemble des politiques
d’ajustement structurel formulées dans des programmes de
la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de
développement et du Fonds monétaire international, entre
autres institutions, à partir des années 80, NdT].

    Mais quelle que soit la manière de concevoir
l’« économie verte », la
dimension sociale demeure cardinale, c’est pourquoi cette
conférence internationale a été une initiative
importante. Si beaucoup de contributions ont abordé des
questions théoriques et empiriques, les conclusions de la
majorité d’entre elles ont fait écho aux
expériences et sollicitations de nombreux mouvements sociaux.
Par exemple, Asuncion St Clair, du Centre for International Climate and
Environment Research à Oslo, a souligné que le
« changement climatique modifie tout ; nous devons 
repenser ce que nous entendons par développement, bien
être et qualité de vie ». Un autre chercheur
de l’OIT – spécialiste des questions
agraires – a insisté sur le fait que
l’économie verte suit  les « traces
d’un système qui a produit pendant des décennies
l’inégalité » ; et il a plaidé
pour une transformation de l’agriculture, éloignée
de l’agrobusiness. Dans la session conclusive, Laura Rival de
l’Université d’Oxford a rejeté
l’idée que le  développement durable est
constitué de trois piliers séparés
(économique, écologique et social) ; elle a en revanche
insisté sur la nécessité de discuter ensemble ces
trois aspects (écologique, social et de développement).

    C’était vraiment encourageant de voir
tant d’universitaires et d’analystes politiques de haut vol
reprendre les idées que nous entendons dans les Forums sociaux
mondiaux et même dans les manifestations en dehors des
débats sur le climat, au sein des Nations unies. Cela a ouvert
des possibilités très constructives d’alliances et
de travail en commun. Mais, bien entendu, les contradictions sont
énormes : comment peut-on contester l’idée
de la croissance quand il y a tant de pauvreté et de
chômage ? Qui peut freiner la puissance des marchés
financiers ? Comment est-ce que l’on peut se
débarrasser du « business as usual »
lorsque les relations de pouvoir sont si inégales entre
ceux-celles qui bénéficient  du
« business as usual » et ceux-celles qui en
subissent les contrecoups ? Nous avons encore beaucoup de pain
sur la planche !
 

Après Copenhague et Cancún se tiendra, au
début décembre à Durban, la prochaine
réunion internationale sur le climat. Pourquoi, tant au niveau
officiel que du point de vue des mouvements sociaux , cette date
suscite-t-elle peu d’intérêt, malgré une
situation plus alarmante que jamais ?

C’est vrai. Il y a un véritable fossé entre le
niveau de mobilisation sur le climat et la réalité du
changement climatique. Comparé à 2009, il y a eu un
déclin de la visibilité globale du mouvement pour la
justice climatique. Il y a deux raisons importantes à cela. En
premier lieu, la prise de conscience que ce n’est ni à
Copenhague ni à Cancún que la « crise
climatique » va être résolue. Il est clair
que les pouvoirs économiques les plus importants sont en train
de négocier afin de défendre leurs intérêts
et non de sauver la planète.

    En second lieu, le mouvement pour la justice
climatique est encore jeune ; il n’a pas de stratégie
déterminée sur ce qui doit être fait et par qui.
D’un autre côté, beaucoup d’activités
sont mises sur pieds au niveau national ; après Fukushima, les
mouvements antinucléaires et ceux pour la justice climatique se
sont liés afin de pousser à  une énergie
renouvelable sûre. Dans beaucoup de pays, les coalitions
nationales pour la justice climatique sont en train de
s’organiser pour augmenter le niveau de conscience publique et
inciter leur propre gouvernement à l’action – avec
ou sans l’accord des Nations Unies. Au vu de ces initiatives, il
me semble que l’espoir est permis et que le lien entre les
questions sociales et les questions écologiques commence
à être compris, même au Nord.

Tout le monde pense aujourd’hui à la prochaine
étape, celle de Rio ? Que se passera-t-il en juin 2012
dans cette ville brésilienne ? Quels sont les
thèmes qui y seront traités ?

Personne ne s’attend à une grande percée à
la Conférence de Rio : le plus probable semble être
une approbation de l’économie verte et peut-être le
lancement de fonds liés à l’économie verte.
Mais face à l’effondrement social et écologique
extrême qui touche des milliards de vies,  ces
réponses sont totalement inadéquates. Il est de notre
responsabilité d’attirer l’attention sur cette
question. Nous devons également être vigilants parce que
le risque subsiste que notre agenda social et écologique soit
récupéré par les fondamentalistes du marché
qui peuvent y voir un moyen de gagner de l’argent grâce
à la catastrophe écologique.

    En même temps, nous avons aussi la
possibilité de donner une grande visibilité aux
propositions et aux pratiques qui viennent d’en bas,
réponses effectives et concrètes pour nombre de ces
problèmes. Au sein de Focus on the global South, nous sommes en
train de promouvoir l’idée de la
« démondialisation ». Nous pensons que
l’économie doit servir la société et la
nature, et pas le contraire ; nous allons travailler avec
d’autres groupes pour développer des idées qui
peuvent nous amener à un futur plus juste et soutenable.

Tu penses donc que Rio doit être le prochain rendez-vous international des mouvements sociaux ?

Oui, je pense qu’il faut mobiliser pour Rio. Cela ne veut pas
dire que nous devons tous aller à Rio, mais que nous devons
travailler ensemble, par-delà les frontières et les
secteurs, pour promouvoir ensemble un agenda d’action et une
série de propositions qui puissent être
présentés, pas seulement aux gouvernements, mais surtout
au public. La question clé est le lien entre
société et écologie – comment est-ce que
l’on peut vaincre l’inégalité,
l’exploitation et la marginalisation, et en même temps
régénérer et protéger les
écosystèmes, créer des économies locales et
élargir la vraie démocratie. Je ne pense pas que
l’économie verte puisse faire cela ; nous devons donc
commencer à travailler avec les syndicats et les mouvements
sociaux, les chercheurs·euses et même les entreprises
locales, pour voir comment créer quelque chose par en bas qui
travaille pour les gens et pour la planète.
 
Propos recueillis pour « solidaritéS » par Juan Tortosa


Journaliste et éditrice, Nicola
Bullard  a travaillé au Cambodge, en Thaïlande et en
Australie pour des ONG ou des syndicats ; elle a notamment
co-dirigé Global Finance : New Thinking on Regulating
Speculative Capital Markets, Londres, New York et Bangkok, 2000.