Armes à sous-munitions: vivant, le militarisme bouge encore

Armes à sous-munitions: vivant, le militarisme bouge encore

On croyait, devant l’évidence de la chose, que la
ratification de la Convention sur les armes à sous-munitions,
signée à Oslo par le Conseil fédéral en
décembre 2008, allait passer comme une lettre à la poste.
Ce fut le cas au Conseil des Etats, mais pas au Conseil national. Sa
commission de la politique de sécurité a
décidé, à une courte majorité, de ne pas
entrer en matière ce 18 octobre.
 
  Les armes à sous-munitions utilisées par
l’armée suisse sont des projectiles cargos pour
l’artillerie à tube, remplis de bombelettes à
manchon brisant et charge creuse, utilisable contre des objectifs
« mous » ou faiblement blindés. Les
obusiers blindés, les canons et les lance-mines de forteresse
peuvent tirer ces projectiles.

    Commencé lors de la Seconde Guerre mondiale,
l’emploi de ce type de munitions s’est
généralisé lors de la guerre du Vietnam, en
Afghanistan, en Tchétchénie, au Liban et au Kosovo. Comme
le notent deux chercheurs de l’Institut des Nations Unies pour la
recherche sur le désarmement (UNIDIR) :
« l’emploi d’armes à sous-munitions a
depuis toujours présenté des risques considérables
pour les civils ». Non seulement lors du bombardement,
mais aussi après. Les sous-munitions étant souvent de
couleurs vives, les enfants confondent fréquemment celles qui
n’ont pas encore explosé – jusqu’à
40 % – avec des jouets ou des colis alimentaires. Ainsi,
selon ce même rapport de l’UNIDIR,
« il ressort des informations disponibles sur
l’Afghanistan, le Kosovo et d’autres régions
qu’il y a beaucoup plus de risques d’être tué
par une sous-munition que par une mine antipersonnelle. »
Une zone bombardée par des armes à sous-munitions est
donc une zone durablement interdite à la population.

    En Suisse, la doctrine d’engagement de cette
arme « dérive d’une image conventionnelle de
la menace » comme le précise le rapport du Conseil
fédéral. Tellement conventionnelle que des
hypothétiques scénarios d’engagement
prévoient d’utiliser cette munition dans la partie
saint-galloise de la vallée du Rhin, entre Sargans et le lac de
Constance. Pourquoi là-bas ? Mais, diantre et sacrebleu,
parce que l’ennemi vient toujours et encore de
l’Est ! Ils en sont là, nos militaristes, à
se rejouer sans cesse la menace rouge, à scruter jour
après jour le fantôme tant attendu des troupes du
défunt pacte de Varsovie… La nostalgie des casques
à boulons est inextinguible.

    Ne les sous-estimons toutefois pas. La liste des
organisations qui se sont prononcées contre la ratification lors
de la procédure de consultation ne réunit pas que des
zozos nostalgiques de la guerre froide. Il y avait bien sûr
l’UDC et une poignée de sociétés militaires,
dont la Société suisse des officiers, mais aussi la
Chambre vaudoise des arts et métiers et le Centre patronal. Ce
dernier avait généreusement mis à disposition ses
locaux pour accueillir en juin 2006 une conférence
organisée par le Groupe romand pour le matériel de
défense et de sécurité. Avec comme invité
l’ancien général de l’armée
israélienne Dani Arditi. Au fait, savez-vous qui fabrique ces
armes à sous-munitions ? La société IMI,
soit Israel Military Industries. Ça alors, quelle
coïncidence !

    Les arguments de ces militaristes ne sont du reste
pas restés sans écho. Durant toute la procédure de
discussion internationale de la Convention, le Conseil
fédéral dit lui-même avoir été
« réticent à une interdiction
complète des armes à sous-munitions » et
avoir « toujours recherché l’équilibre
entre les exigences humanitaires et les nécessités
militaires. » Et même actuellement, il se propose de
limiter les opérations d’élimination des stocks aux
projectiles, refusant pour des raisons financières,
d’éliminer l’ensemble des composants (comme les
charges explosives, par exemple).

    Même favorables à la ratification, les
libéraux-­radicaux (PLR) et l’Union suisse des arts et
métiers estiment que l’interdiction des armes à
sous-munitions affaiblirait la capacité militaire
défensive de l’armée suisse. On a eu vu des
soutiens plus francs et plus décidés, même chez les
ânes qui reculent.
    Si la Suisse devait rejeter cette ratification, elle
se retrouverait aux côtés d’Etat comme la
Corée du Nord, la Birmanie ou la Syrie. Comme on dit à
l’UDC : « la Suisse constitue un cas
particulier et un modèle à succès. »

Daniel Süri