1995: du rap dans le rétro

1995: du rap dans le rétro



Un chiffre, une année :
1 9 9 5 grimpe tout en haut des ventes avec un rap « old
school ». A côté d’eux, c’est
toute une nouvelle scène hip hop à rebours des paillettes
et du bling-bling qui est en train de voir le jour. Le rap était
mieux demain !

Au mois de juin, est sorti l’album La Source de 1995. Tout est
dit dès le nom du groupe et de ce premier EP. Un retour au rap
des années 90. Et on ne va pas se plaindre. A vrai dire, les
années 2000 ont fait du mal à la scène hip hop
française, que ce soit via la commercialisation intensive du
slam ou la simple adaptation du son américain. Surtout, elles
auront été celles des grosses basses bourrines et des
rappeurs plus machistes que jamais. Tout sentait le bling-bling
à plein nez. On se demandait où avait bien pu passer
l’esprit contestataire du hip hop, le champ musical semblant
appliquer les mêmes valeurs qu’un certain Nicolas Sarkozy
triomphant, à coup de montres de luxe et de yacht chromé.

1990 : l’âge d’or

Par contraste, les années 90 ont fini par symboliser un
âge d’or du hip hop français. Bien sûr, il y
eut plein de tubes horribles. Mais en même temps que ce
mainstream niais, existait un hip hop de qualité et qui se
vendait bien : NTM, IAM, Assassin. Mais alors pourquoi 95 et pas
un autre chiffre ? 1995, c’est l’année
où sortent La Haine de Mathieu Kassovitz, film mythique pour
toute une génération, L’Homicide volontaire
d’Assassin, Paris sous les bombes de NTM, et se fonde ATK,
collectif qui rassembla jusqu’à 27 membres.
Derrière 1995 et en featuring sur un titre, on retrouve aussi
Zoxea des Sages Poètes de la Rue, dont le premier album sortait
lui aussi en 95.

    Au-delà de ces références, le
lien avec ce hip hop « old-school »
s’impose directement dans le son de 1995. Les voix des chanteurs
de IAM et Assassin sont samplées. Mais c’est surtout
l’ensemble du son qui nous fait penser à ces
années : un flow assez lent, mais chanté, des
paroles pas trop vulgaires, une mélodie ultra simple,
très peu d’effets. 1995 refuse les gros beats
surboostés pour adopter une rythmique plus calme. Il y a ce
choix de la simplicité, où n’importent plus que la
technique du flow et les rimes. Par contre, au niveau des paroles, il
ne faut pas s’attendre à des essais emplis de finesse et
d’antisexisme, le hip hop de 1995 restant nourri à la
frime. La formule pour distiller ce son est des plus
adéquates : un DJ aux platines et surtout cinq rappeurs
aux styles différents, complémentaires, et aux blases un
peu niais. On retrouve ainsi l’esprit collectif du genre,
où chacun fait son numéro à son tour, en
interaction avec les autres, et non pas ce star-système
où un seul pose du début à la fin. Ce premier EP,
La Source, sans rien révolutionner, sans grande ambition, prend
directement des allures de classique avec huit chansons imparables.
Pour n’en citer qu’une, « Le
Milliardaire », titre de fête bête, aux
paroles jouissives : « On
va pisser dans ta baraque/Chiller sur ton canap’. Quand tous nos
potes sont ivres/On fout le boxon vite même si nos poches sont
vides. »

    Mais ce rap « old-school »
ne serait-il pas réactionnaire ? C’est bien
sûr ce que beaucoup diront, et la vérité que
personne ne songe à nier, c’est qu’avec 1995 il y a
un retour à un style qui semblait dépassé. Il
n’empêche qu’après une décennie faite
de saturation et de vulgarité, on ne peut que se réjouir
qu’une bande de jeunes se soient en mis en tête de jouer la
carte de la simplicité et que ce choix reçoive un tel
écho.

Pierre Raboud