Être « queer » en Palestine

Être « queer » en Palestine

En juin dernier, Haneen Maikey,
directrice d’Al-Qaws, association palestinienne militant pour la
diversité sexuelle, était de passage à Amsterdam
pour parler de la lutte pour l’émancipation sexuelle et
contre l’occupation israélienne. Alex de Jong s’est
entretenu avec elle sur sa réalité de
« queer » et de Palestinienne et sur
l’apport des groupes « queer » au
mouvement pour la libération de la Palestine.




En plus de l’occupation,
à quels problèmes se confronte la population queer en
Palestine ? Ici, on nous abreuve d’informations sur la
montée du fondamentalisme religieux…

HM : En
réalité, je ne crois pas que cette tendance politique a
un impact dans la vie quotidienne. La société
palestinienne est très séculière, malgré le
fait qu’il y a des femmes qui portent le hijab ou des hommes qui
se laissent pousser la barbe. Je vis à Jérusalem et je
passe beaucoup de temps en Cisjordanie et je ne vois pas de raz de
marée extrémiste qui appelle à raviver la
religion. Je crois bien avoir bu plus de bières en Cisjordanie
qu’à Tel-Aviv… Mais la société
palestinienne est très diverse, il y a ceux qui vivent dans des
grandes villes, d’autres dans des petits villages, on ne peut pas
parler d’une expérience unique.

    Les personnes queer palestiniennes, à
l’intérieur et à l’extérieur
d’Israël, s’affrontent à deux types de
défis. Le premier consiste en des difficultés qui sont
universelles ; se sentir isolées, grandir dans une
société hétéronormative, traverser une
crise parce qu’on est différent. Et ensuite, il y a
l’homophobie, un autre défi tout aussi universel qui
touche chaque personne queer.

    Evidemment, la société palestinienne a
ses particularités, par exemple, elle est très
patriarcale. Même un frère cadet aurait le droit de dire
à sa sœur ce qu’elle doit faire. Une autre
particularité est le tabou que représente le fait de
parler de sexualité, et cela même s’il s’agit
de personnes hétérosexuelles qui en parlent. Parler
d’homosexualité est donc une façon
d’encourager un dialogue sur la sexualité en
général. Nous ne cachons pas notre orientation,
qu’elle soit lesbienne, gay ou quoi que ce soit, mais parler de
sexualité est un préalable pour aborder le sujet.

    Il est possible que certains groupes pour les droits
humains ou des collectifs de femmes ne désirent pas avoir de
contacts avec nous, mais quand la problématique concerne la
sexualité en général, ils ne peuvent pas prendre
leur distance. La sexualité n’est pas une question
exclusive des gays ; les groupes de femmes, pour les droits
humains, les groupes LGBT, nous avons tous quelque chose à dire
et à apporter à ce sujet.

    Le second type de défis est lié au
fait d’appartenir à une double minorité :
être palestinien et queer. Il n’est pas possible
d’éviter la discrimination qu’on t’impose pour
le fait d’être « Arabe » ou
Palestinienne. Toute discrimination n’est pas systémique
ni organisée, cela peut aller de gens qui se moquent de toi pour
ton accent quand tu vas faire des achats ou quand, à bord
d’un autobus, quelqu’un te dit qu’il ne veut pas
t’entendre parler en arabe ou que des soldats
t’arrêtent. Le racisme pénètre tout. Les gens
de Cisjordanie sont confrontés à l’occupation dans
leur vie quotidienne, la liberté de mouvement est limitée
par une infinité de postes de contrôle. Nous devons
affronter à la fois l’homophobie dans la
société palestinienne et dans la société
israélienne et, en plus, l’occupation et le racisme.

Quelle est la contribution
spécifique d’un groupe queer comme Al-Qaws au mouvement
pour la libération de la Palestine ?

HM : Je crois que les
plus marginalisés sont ceux qui pourront
énormément bénéficier du changement social
et qu’ils seront les plus engagés à le
réaliser. Tu peux faire le choix de parler concrètement
de l’homosexualité et œuvrer pour les droits des
homosexuels, mais tu peux aussi parler de la sexualité en
général et des autres modalités de
sexualité marginalisées, parler des droits humains et de
toutes les formes d’oppression que tu connais. Tel est notre
travail ; nous voulons inclure d’autres questions, ne pas
nous limiter au monde homosexuel. Par exemple, nous voulons inclure les
personnes qui se sentent opprimées par leur genre ou parce
qu’elles ne souhaitent pas se marier. […]

    Nous sommes conscients que différents groupes
ont tenté de manipuler la question queer en Palestine. Par
exemple, certains groupes palestiniens nous ont accusés
d’être « occidentalisés ».
Il y a aussi l’argument classique des libéraux qui
affirment que la sexualité n’est pas politique,
qu’elle n’affecte que la vie privée des personnes.
Le gouvernement israélien utilise la problématique des
droits de la population homosexuelle afin de donner l’illusion
qu’Israël serait une sorte de « paradis
gay » au Moyen-Orient et accuser la société
palestinienne d’être homophobe, de manière
intrinsèque.
    […] L’une de nos principales campagnes
politiques consiste à contrebalancer ce qu’on appelle en
anglais le « pinkwashing ». Ce
« lavage rose » s’intègre dans
une vaste campagne du gouvernement israélien :
l’utilisation cynique de droits relativement progressistes pour
les homosexuels d’Israël afin de détourner
l’attention internationale de l’occupation et des
violations des droits humains commises par lui.

Alex de Joong
Rédacteur de la revue « Grenzeloos » du SAP, section hollandaise de la IVe Internationale.

Traduction française pour le site lcr-lagauche.be

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