Quelle désobéissance féministe ?

Quelle désobéissance féministe ?



Stéphanie Pahud, maître
assistante en linguistique française et à l’Ecole
de français langue étrangère, a déjà
trois livres à son actif. Le dernier en date,
« Petit traité de désobéissance
féministe », est paru cette année aux
Edition Arttesia.



Le Petit traité de désobéissance féministe
est en quelque sorte une synthèse tout public de ses deux
derniers ouvrages. Ce petit traité richement illustré est
agréable à lire et plutôt facile
d’accès. Dans un premier temps, Stéphanie Pahud
présente rapidement différentes tendances du
féminisme. Elle met en évidence que les comportements
dits masculins ou féminins sont des construits sociaux
relayés notamment par les discours médiatiques.

    Dans la suite de son livre, l’auteure analyse
deux de ces discours médiatiques : la publicité et
la presse écrite. Elle montre que la publicité, bien que
moins sexiste qu’auparavant, continue de véhiculer de
manière plus ou moins subtile des stéréotypes de
genre. De plus, les femmes, quand elles sont représentées
comme libérées, sont surtout libres de consommer. La
presse écrite tend aussi à dépeindre les femmes de
manière spécifique. Lors de la course pour la succession
de Moritz Leuenberger et de Hans-Rudolf Merz, les candidates
étaient fréquemment décrites selon des traits de
caractère dits féminins.

Féminisme, le mot qui semble faire peur

Dans la dernière partie de son ouvrage, Stéphanie Pahud
abandonne sa plume au profit d’une cinquantaine de
personnalités du monde académique, politique,
littéraire et médiatique qui répondent à la
question : vous estimez-vous féministe ? Dans
l’ensemble, le mot féminisme semble faire peur. Il est
parfois rejeté, sinon redéfini au gré des
convictions. Il n’y a pas un, mais des féminismes, parfois
contradictoires entre eux. Le féminisme radical et militant est
majoritairement connoté négativement, appartenant
à une époque révolue. Il est également
intéressant d’observer une très forte
hétéro-normativité dans les réponses. Le
couple, par exemple, est uniquement conçu dans sa composition
homme-femme. La domination de classe et de
« race » est peu perçue. Dans sa
réponse, une femme vante les mérites de son couple qui a
su partager équitablement les tâches domestiques,
notamment grâce à UNE FEMME de ménage…

    Le but du Petit traité de
désobéissance féministe est de rendre
évident les stéréotypes de genre auxquels nous
sommes confrontés à travers la publicité et la
presse écrite. Les lecteurs sont invités à adopter
une attitude critique devant les normes sociales
véhiculées par ces différents médias et
ainsi à décider individuellement d’y souscrire ou
non. La proposition de Stéphanie Pahud, bien
qu’intéressante, semble parfois un peu naïve et doit
être accompagnée d’autres mesures plus collectives.
L’égalité entre les hommes et les femmes
n’est pas qu’une histoire de choix personnel, c’est
également un problème de société.

    L’égalité hommes–femmes
est peut-être acquise sur le papier, mais elle a de la peine
à se réaliser dans la vie de tous les jours. Les femmes
gagnent en moyenne 20 % de moins que les hommes et cette
différence tend à s’accroître ces
dernières années. Elles sont
surreprésentées dans les emplois à temps partiel,
ce qui limite leur possibilité d’avancement, ainsi que
dans les emplois précaires. De plus, il est
démontré que la majorité des femmes qui
travaillent à temps partiel souhaiteraient travailler à
temps plein. Au contraire, les hommes peinent à trouver des
places à mi-temps. Les femmes sont nettement moins
représentées dans la sphère politique. Il y a
certes quatre femmes au Conseil Fédéral, mais seulement
22 % au Conseil des Etats et 29 % au Conseil national.
Enfin, elles s’occupent encore et toujours, plus que les hommes,
des tâches ménagères et de la garde des enfants.

Les conditions collectives du choix

Les inégalités entre hommes et femmes ne vont pas
disparaître du jour au lendemain simplement parce que certaines
femmes et certains hommes ont décidé de
désobéir aux normes et aux rôles imposés par
notre société. La mise en place de structures qui
permettent aux individus d’assumer librement leurs choix est
nécessaire. Le salaire minimum, la réduction
généralisée du temps de travail, les congés
parentaux, par exemple, sont des structures essentielles à la
réalisation concrète de l’égalité
entre hommes et femmes.

    Dans une société où les acquis
des féministes radical∙e∙s et militant∙e∙s, notamment le droit
à l’avortement libre et gratuit, sont
systématiquement remis en question par une frange conservatrice
de la société, il faut faire front ensemble pour
continuer à lutter pour une société dans laquelle
un choix personnel est un choix personnel.

Nora Köhler