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N° 195 (06/10/2011). A la une: Jeunes indignés dans le monde entier
p. 4
Lien direct: https://www.solidarites.ch/journal/d/article/4991
En mouvement
« Militer pour une autre société n’est de loin pas commun »
Qu’est-ce qui peut amener des jeunes à s’engager politiquement aujourd’hui dans un mouvement comme solidaritéS, aux antipodes de tout carriérisme politique ?
Deux d’entre eux témoignent.
Née d’un couple mixte avec une mère suisse – un des pays les plus riches du monde – et un père haïtien – un des pays les plus pauvres de la planète – j’ai eu, depuis toute jeune, le sentiment qu’il existait de profondes injustices dans les possibilités d’accéder à des conditions de vie humainement dignes suivant le lieu de sa naissance. Noire dans un pays blanc, je me suis rapidement rendu compte que le comportement des un·e·s et des autres n’étaient pas toujours le même avec moi qu’avec mes petits camarades. Il en résultait parfois un sentiment de malaise sans que je puisse le comprendre. Enfin, les fins de mois étaient souvent difficiles, malgré un travail intense, dans un pays où l’argent coule à flot. Il y avait là, dans ma tête d’enfant, des contradictions troublantes. Suivant le lieu de vie, la couleur de la peau, le montant du compte en banque, mais aussi l’appartenance de sexe (ce que je réalisais plus tard à l’adolescence), je voyais bien que les conditions de vie, ou de choix de vie, n’avaient pas les mêmes potentialités. Donc mon engagement actuel est parti d’abord d’un ressenti, celui que quelque chose ne tournait pas rond, qu’il y avait des injustices et que celles-ci pouvaient prendre des proportions inconsidérées et révoltantes. J’étais alors profondément affectée par les lynchages de Noir.e.s opérés par le Ku Klux Klan aux Etats-Unis, par le travail des enfants dans les mines, celui des Sud-Américaines dans les zones franches (maquiladoras) du Mexique, mais aussi, dans ma vie quotidienne, par le racisme ordinaire, la vie des working poor que je connaissais ou la suffisance des « héritier·e·s ».
En m’intéressant à la politique et par mes études (et mon travail d’intervenante sociale que je réalisais en parallèle), j’ai commencé à pouvoir mettre des mots sur ce sentiment. Ces injustices, qui me touchaient, n’étaient jamais individuelles, mais liées à des divisions artificielles faites entre des groupes d’individus sur la base de la classe, de la « race », du genre et de rapports internationaux profondément inégalitaires. Ces divisions n’avaient rien de naturel, elles répondaient aux intérêts bien compris de certains autres groupes, minoritaires, mais puissants économiquement et politiquement. Comme elles n’étaient pas naturelles, cela signifiait qu’il était possible d’agir dessus. Je me suis d’abord engagée à Attac et au Cetim. Mais, tenter d’agir d’emblée sur les grandes inégalités internationales bute rapidement sur d’énormes obstacles. Je me suis donc rapprochée de solidaritéS, car ses combats me semblaient justes et ses moyens d’action réalistes. En agissant sur deux fronts, celui des institutions politiques traditionnelles (partis et syndicats) ainsi qu’au sein des mouvements sociaux, les résultats sont possibles. Même s’ils sont infimes, ils existent et donc ça signifie qu’il est possible d’agir sur des structures économiques, sociales et politiques profondément injustes.
Isabelle Lucas
Lausanne
Qu’est-ce qui peut bien pousser un jeune, aujourd’hui, à militer dans un mouvement de la gauche radicale ? A l’heure où le capitalisme a clairement montré ses limites, en nous plongeant dans de multiples crises sans fin, cette question peut sembler vide de sens. Et pourtant, militer pour une autre société n’est de loin pas commun, surtout dans un pays comme la Suisse. Le système a réussi à faire croire à une large partie de ma génération que nous sommes condamnés à nous accommoder de ses règles du jeu.
Pourtant, il arrive tout de même que la jeunesse descende dans la rue quand le sujet est populaire et qu’il ne remet pas complètement en cause le système, pour dire non au racisme ou à la guerre par exemple. Personnellement, mes premiers pas de militant ont commencé par ce type de manifestation. C’était lors des premiers bombardements sur l’Irak. Je me suis engagé à ma manière, en collant des affiches appelant à manifester dans mon école avec quelques amis pacifistes et en participant, banderole déployée, aux différentes mobilisations. Je pensais que personne ne pouvait être pour la guerre et que nous serions assez nombreux à manifester pour qu’elle s’arrête. Encouragé par une famille militante, je me suis aussi intéressé aux questions économiques et écologiques d’une telle guerre. Un an plus tard, je lisais les livres de Michael Moore, la biographie d’Ernesto Guevara et me rendais compte que mon engagement politique n’allait pas s’arrêter de si tôt.
Cela fait maintenant huit ans que j’ai commencé à militer et les conditions sociales, économiques et climatiques se sont détériorées, alors que le racisme est plus que jamais présent. A Genève, le nombre de militants s’est réduit et les mobilisations se font plus rares. Pourtant, je suis chaque jour un peu plus convaincu que mon engagement, comme celui de mes camarades est indispensable. Les exemples des mobilisations des pays arabes, de l’Espagne ou dernièrement des étudiant·e·s chiliens sont extrêmement encourageants. Ils rappellent surtout que la jeunesse peut se soulever n’importe quand. Mon amour pour l’être humain et mon profond dégout pour ce système font qu’aujourd’hui encore et pour longtemps sans doute, j’essayerai avec mes compagnons de lutte de construire une alternative à ce système criminel. Avec l’espoir d’être l’une des étincelles qui embrasera la jeunesse mondiale.
Guillaume Thion
Genève
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