Nouveau financement hospitalier: faire mieux, plus vite, avec moins

Nouveau financement hospitalier: faire mieux, plus vite, avec moins

Le 22 septembre, les syndicats ainsi
que la quasi totalité des associations professionnelles du
secteur de la santé appellent à une journée de
mobilisation dans les hôpitaux pour protester contre
l’introduction du nouveau financement hospitalier qui devrait
entrer en vigueur sur le plan national le 1er janvier 2012.

L’introduction d’un financement des hôpitaux en
fonction des prestations fournies (forfaits par cas ou Swiss DRG) et
non plus en fonction des dépenses réelles de
l’hôpital est présentée par les
autorités comme une réponse à la hausse des
coûts de la santé. Désormais, un seul tarif
fixé par avance pour chaque maladie sera remboursé
à l’hôpital par les assurances maladies, et ce tarif
sera calqué sur le coût le plus bas en vigueur dans le
pays, selon une méthode de comparaison appelée
« benchmarking ». En clair, si une
appendicite coûte deux fois moins cher à Schwyz
qu’à Genève, les assurances maladies rembourseront
à Genève le tarif en vigueur à Schwyz, sans aucune
considération par exemple pour les fluctuations du coût de
la vie entre cantons. La part du financement du secteur hospitalier
public par les assurances diminuera ainsi massivement, conduisant soit
à un report de charges sur les cantons, soit à une cure
d’austérité infligée aux hôpitaux,
pouvant aller jusqu’à leur fermeture pure et simple.

Concurrence

Le Conseil fédéral ne se cache pas derrière son
petit doigt en effet: il souligne qu’avec ce nouveau mode de
financement, les « hôpitaux devront être
gérés comme des entreprises ». Quant
à la faîtière patronale économiesuisse, elle
« salue la réorientation qui en découle et
encourage les cantons à la mettre en œuvre dans
l’esprit du législateur, c’est-à-dire de
manière à favoriser la concurrence ».
Charles Favre, président de la faîtière des
hôpitaux H+ et membre du PLR est encore plus clair, soulignant
que cette réforme permettra de « dépolitiser
les décisions de fermeture des établissements clairement
reconnus comme moins performants » (Le Temps, 27.6.09).
Sur ce point, le Conseil fédéral est au diapason,
soulignant dans un rapport de janvier 2010 que les cantons devront
« préparer leurs établissements hospitaliers
à évoluer dans un système soumis aux règles
de la concurrence, avec l’espoir d’éliminer les
autres hôpitaux du marché, et en particulier les
hôpitaux des cantons voisins » !

Modèle allemand

Un système de financement à peu près similaire a
déjà été introduit en 2004 en Allemagne, et
les résultats ne se sont pas faits attendre: en cinq ans,
23 000 lits ont été supprimés dans les
hôpitaux publics, ainsi que 88 000 postes de travail.

    Dans les cantons helvétiques qui ont
déjà introduit le nouveau système, la pression
à la baisse sur les conditions de travail du personnel a
d’emblée été drastique, et ce quand bien
même le système n’étant pas
généralisé à tout le pays, il ne
déployait pas encore tous ses effets. A Zoug en 2008, les
autorités ont d’emblée dénoncé la
Convention collective du personnel de la santé afin de
« réduire les coûts ». A Zurich,
le gouvernement prévoit de supprimer entre 130 et 150 postes
à l’Hôpital universitaire. A Berne, le Conseil
d’Etat à majorité dite de gauche (coalition PS et
Verts) a également annoncé un programme
d’économies de 87 millions dans les soins aigus.

    Ces premières cures
d’austérité contre les hôpitaux publics ont
été si brutales qu’elles ont effarouché
jusqu’à la faîtière des hôpitaux H+,
normalement acquise à l’introduction des forfaits par cas.
Celle-ci a demandé un report de leur introduction, qui a
été refusé par le Ministre Burkhalter. Les
hôpitaux se sont aussi crispés devant la nouvelle
obligation prévue par la loi de transmettre aux assureurs toutes
les données dont ils disposent sur leurs patients.

Bonheur des cliniques

Il n’y a pas que les assurances qui peuvent afficher un large
sourire face à un tel assèchement annoncé du
financement des hôpitaux : les cliniques privées
elles aussi en seront les grandes bénéficiaires. Le
groupe suisse Hirslanden (dont le chiffre d’affaire a
passé de 900 millions en 2007 à 1,2 milliards en 2010)
saluait dans son rapport d’activité 2010
l’introduction de ce nouveau système dans certains
cantons : « aujourd’hui, les hôpitaux
sont payés essentiellement sur la base de forfaits journaliers.
C’est une incitation à garder les patients plus longtemps
que nécessaire. […] L’introduction du
système DRG peut aussi avoir des conséquences très
positives : la pression économique associée au DRG
brise les structures sclérosées, opaques et inefficaces
dans l’hôpital. » De fait, le nouveau
système de forfaits par cas conduira les hôpitaux à
hâter le retour des patients à domicile; ceux qui
désireraient rester à l’hôpital
au-delà de ce que leur « forfait » le
leur permet savent désormais à quelle porte toquer, celle
des cliniques privées. La nouvelle loi garantit en effet le
prétendu « libre choix » de
l’hôpital (public, parapublic ou privé) par les
patients ; ce qui va de pair avec un recours accru aux assurances
complémentaires.

    La résistance légitime du personnel de
la santé à ce processus de privatisation rampante des
hôpitaux publics doit être fondé sur une
réfutation du discours mensonger consacré à
« l’explosion des coûts de la
santé », au nom duquel les autorités
justifient l’introduction des « forfaits par
cas ». En réalité, c’est bien le
caractère largement privatisé du système de
santé et la logique de concurrence qui sont en état de
faillite social : depuis 1996, les primes mensuelles pour les adultes
ont enregistré une augmentation moyenne de 5,2 % par an,
pour atteindre 350 CHF en 2010. Les coûts de la santé
quant à eux ont augmenté de seulement 1,9 % entre
2001 et 2007, soit moins que l’indice des prix. Ce sont les
assureurs qui ont empoché la différence.

Hadrien Buclin