Pie XXI & le judéocide: Amen!

Pie XXI & le judéocide: Amen!


Après avoir été présenté à Berlin, Amen de Constantin Costa-Gavras arrive en Suisse romande dans un nuage de polémiques. Basé sur une pièce de Hochhuth, le film est une pure réussite et montre que le metteur en scène de L’aveu et de Missing est toujours en grande forme. En attendant que les historiennes et les historiens puissent se pencher sur les archives du Vatican, dont l’ouverture de la période 1922-1939 est annoncée pour l’année prochaine, Amen lance des accusations lancinantes quant aux responsabilités des hautes hiérarchies catholiques pendant les déportations et les exterminations de masse perpétrées par les Nazis.



Si l’on parle beaucoup, ces jours, du dernier film de Costa-Gavras, c’est à cause de son affiche. Réalisé par Oliviero Toscani, le sulfureux photographe des publicités Benetton, elle n’a pas manqué son but et a déclenché une belle polémique. Toscani n’a pourtant pas joué l’originalité. Pour un film sur un tel sujet, mélanger croix chrétienne et croix gammée relève presque de la banalité. Cela dit, le but habituel du photographe italien étant de déranger, il a rempli son contrat. L’interdiction demandée en France par une association catholique proche des milieux traditionalistes et lepénistes a finalement été refusée par le tribunal de la grande instance de Paris.



Tout ce fracas, qui focalise les réactions des médias sur l’affiche et son éventuelle interdiction, finit presque par faire passer le film au second plan. Or, si Toscani a travaillé autour d’un thème de provocation facile, il est difficile de nier que celui-ci illustre assez bien les propos du film. Costa-Gavras a, quant à lui, construit une œuvre analytique et réellement critique sur laquelle il vaut largement la peine de s’arrêter.



Amen est l’adaptation de la pièce de théâtre «Le Vicaire» écrite par Rolf Hochhuth dans les années soixante. Comme la pièce, il se base sur un personnage ayant réellement vécu: l’officier des SS Kurt Gerstein. Celui-ci avait perdu une belle-sœur dans les programmes d’euthanasie collective mis au point par les nazis pour exterminer les malades mentaux. Expert en chimie et en désinfection, il aura l’occasion d’être le témoin de gazages de masse dans plusieurs camps d’extermination. Le film montre les tentatives infructueuses menées par Gerstein afin d’alerter le monde sur le génocide organisé industriellement. Il se re-trouve face à la gêne de ceux qui préfèrent ignorer. L’ambassade de Suède, le nonce apostolique à Berlin et même les alliés ne l’écoutent pas. Dans le film, l’officier est épaulé par un jeune prêtre de la noblesse vaticane. Un personnage créé pour la fiction qui s’insurge contre le mur de silence érigé autour de l’holocauste. Un mur qui semble être construit par une étrange coalition qui traverse les divisions de la guerre et qui révèle, au-delà des responsabilités nazies, la grave complicité de leurs alliés, des neutres et même des ennemis.



Un immobilisme insupportable, fait de fastes et de cérémonies hors du temps, montre un Vatican dirigé par une nomenclature qui ne veut rien reprocher à Hitler tant que celui-ci sera l’ennemi de Staline et qui ferme les yeux devant la barbarie, même lorsqu’elle se déroule sous ses fenêtres. Les rafles au ghetto de Rome, après la capitulation de l’Italie en septembre 1943, donneront au contraire l’occasion aux hauts prélats d’apaiser leurs consciences en accueillant quelques réfugié-e-s. Une «charité chrétienne» qui va également être appliquée aux bourreaux nazis lorsque, dans l’immédiat après-guerre, le Vatican devient l’antichambre de l’Amérique latine.



Amen n’est pas seulement un film pour ne pas oublier, c’est aussi un film qui sait s’imposer avec une force étonnante. Ainsi la représentation de la Shoah ne se transcrit pas par un spectacle de l’horreur. On voit le gazage uniquement à travers les expressions sur les visages des Nazis qui y assistent, ou par le tremblement des portes des chambres à gaz. Le film est rythmé par les images des trains qui vident l’Europe de dizaine milliers de familles, chaque jour, chaque heure. L’horreur n’en est que plus présente et le silence qui la couvre encore plus insupportable.



Comme souvent à la sortie de telles productions, les médias ameutent la communauté historienne, censée vérifier si le film correspond à la «vérité historique». Ainsi la scène où le jeune prêtre se trouve face à Pie XII et lui demande de réagir à la déportation des juifs romains a été considérée comme contestable car elle confronte un personnage historique à un autre inventé de toutes pièces. Un épisode qui n’a jamais eu lieu et sur lequel le spectateur va fonder son jugement de la figure du Pape. C’est une fausse problématique: le cinéma parcourt l’histoire autrement. Sa seule arme pour rendre compte du réel est justement la fiction. Quelle meilleure manière de dénoncer la «réalité historique» de l’immobilisme du Pape que d’«inventer» cette scène? Il est insensé de s’amuser au jeu du vrai et du faux avec un film pareil, ce ne sont pas les détails véridique ou pas qui comptent, mais bien la thèse qu’il soutient. n



Gianni HAVER