Sortir du nucléaire et des fossiles ? Le plan des autorités allemandes

Sortir du nucléaire et des fossiles ? Le plan des autorités allemandes

Le 6 juin dernier, la
chancelière Angela Merkel annonçait sa décision de
sortir du nucléaire dans un délai de onze ans, option qui
devrait être confirmée par le parlement en juillet, voire
au début de l’automne. Ainsi, sur les dix-sept
réacteurs existants, huit sont actuellement en révision
et ne devraient plus redémarrer, six autres seraient
arrêtés avant 2021, et les trois derniers, fermés
avant 2022.

Ce faisant, les autorités allemandes ne choisissent pas
seulement de sortir du nucléaire, mais aussi, plus lentement,
des énergies fossiles: d’ici 2050, 80 % de
l’électricité devrait être produite à
partir de renouvelables (35 % d’ici 2020, et 50 %
d’ici 2030). Dans la période transitoire, le pays ferait
appel à de nouvelles centrales à gaz, mais la
consommation de ce combustible serait réduite de manière
compensatoire dans le domaine du chauffage, grâce à une
meilleure isolation des bâtiments.

Isolation thermique et éoliennes

A partir de 2020, les nouvelles constructions devraient être
chauffées grâce à des énergies renouvelables
(biomasse, solaire thermique, pompes à chaleur, etc.). En
même temps, l’Etat stimulerait l’isolation des
bâtiments existants (objectif: rénover 2% du parc
immobilier par an, au lieu de 1 % actuellement) en offrant des
prêts préférentiels aux propriétaires.
L’effort financier serait ainsi payé essentiellement par
les contribuables et les locataires. Les responsables allemands
estiment ainsi pouvoir se passer de l’exploitation des gaz de
schistes, voire de la capture et du stockage du carbone, qui suscitent
de vives oppositions au sein de la population.

    Pour la production
d’électricité, le vent serait la première
source d’énergie de substitution, produite par de
très grandes centrales offshore, mais aussi terrestres. Cette
option serait complétée par d’importants
investissements visant à améliorer le transport du
courant, à développer des réseaux intelligents
(permettant aux consommateurs de moduler leurs dépenses
énergétiques), et à éliminer une grande
partie des gaspillages actuels (grâce à une nouvelle
conception des machines et appareils). A terme, l’Allemagne
deviendrait aussi un importateur net de courant, sans doute moins cher,
produit dans d’autres pays européens.

Un monopole privé payé par le public?

Cette reconversion serait financée essentiellement par les
ménages, en particulier par une taxe sur leur consommation
électrique – elle est déjà de 3,5 centimes
d’euro par kWh (10 € par mois pour un foyer moyen)
– et par les revenus attendus du marché européen du
carbone. Les entreprises sont d’ores et déjà
dispensées de ces taxes et devraient le rester à
l’avenir : « C’est très
important pour le gouvernement allemand, déclare Patrick
Graichen, responsable de la division « protection du
climat » du Ministère allemand de
l’environnement, de ne pas trop ponctionner notre
industrie » (Mediapart, 4 juin 2011).

    Certes, ce programme n’est pour le moment
qu’une feuille de route indicative. Mais il ne laisse aucun doute
sur la décision des autorités allemandes
d’abandonner le nucléaire. Il marque aussi leur
volonté de sortir à terme des énergies fossiles,
même si le rythme prévu – pour autant que ce
calendrier soit respecté – est encore beaucoup trop lent
pour répondre aux exigences posées par le rapport du GIEC
(Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat). En même temps, il entend
garantir la position de monopole des grands consortiums
électriques privés en développant un
système de production, de transport et de distribution hautement
capitalisé et centralisé. Son plan de financement
dégrève aussi les entreprises et repose
entièrement sur les épaules des particuliers,
c’est-à-dire des salarié·e·s.

    Au lieu de cela, le réseau écologiste
Gegen­strom (contre-courant) de Berlin propose la transition vers
une alternative énergétique globale fondée sur les
renouvelables, mais privilégiant le contrôle public, la
décentralisation et la prise de décision
démocratique. Une source d’inspiration pour la
Suisse… (voir ci-dessous).

Jean Batou


Contre le délire fossile et nucléaire: Démocratie énergétique maintenant

« Nous voulons rompre
avec la logique mortifère de la croissance forcée, de la
surproduction et de la surconsommation endémiques, proclame
GEGENSTROM. Car pour nous, le capitalisme c’est la crise, pas
seulement la crise économique, mais aussi la crise
écologique et climatique.» Ce réseau militant pour
le climat et la justice sociale de Berlin critique les positions des
défenseurs d’un nouveau « capitalisme
vert » et prône la mobilisation et la
résistance. En effet, « un autre monde ne nous sera
pas offert » www.gegenstromberlin.net. Nous reproduisons
ici ses Thèses pour une autre politique
énergétique. (JB)

1 La catastrophe de
Fukushima marque une rupture dans le débat sur la politique
énergétique en Allemagne: La sortie du nucléaire
se fera dans cette décennie : il n’y a plus aucun
doute à ce sujet. Il s’agit pour l’essentiel du
résultat du travail du mouvement antinucléaire et, pour
l’instant, c’est aussi son plus grand succès.

2 Dans
cette situation, où même la CSU [démocratie
chrétienne bavaroise, située à droite de la CDU,
NDT] semble être favorable à une sortie rapide du
nucléaire, il n’est de loin pas suffisant d’exiger
l’arrêt immédiat de toutes les centrales. Ceux
« d’en haut » sont en train de
reconsidérer le secteur de l’énergie dans son
ensemble et les mouvements sociaux doivent faire la même chose.
La politique énergétique est en train de changer. Mais
que fait le mouvement social en matière de politique
énergétique ?

3 En
prônant la sortie du nucléaire, nous ne devons pas nous
taire par rapport à l’énergie fossile. Nous vivons
dans un système fondé prioritairement sur le fossile et
non sur le nucléaire (le rapport global est d’environ
80 % d’énergie fossile et de 6 % de
nucléaire). Chaque année, beaucoup plus
d’être humain meurent des suites du changement
climatique – et donc de l’exploitation de
l’énergie fossile – que des conséquences du
nucléaire. Or, le débat sur la sortie du nucléaire
comporte le risque de présenter un peu vite le charbon et le gaz
naturel comme source énergétique durable, sûre et
bon marché. Pour cette raison, notre revendication doit
être : sortir du délire fossilo-nucléaire,
100 % d’énergie renouvelable aussi vite que
possible !

4 La
tournant en matière d’énergie doit impliquer une
rupture avec la puissance des consortiums et avec la centralisation
dans le secteur énergétique, et une orientation vers un
approvisionnement décentralisé et local. Donc :
oui à la décentralisation, non aux projets géants
comme Désertec [immense centrale photo-électrique dans le
désert du Sahara, NDT] ou aux gigantesques parcs éoliens
offshore [notamment dans la mer du Nord, NDT]. Ces projets ont pour
principal objectif de permettre aux « quatre
grands » consortiums électriques – RWE, E.On,
Vattenfall et EnBW – de prendre le contrôle du secteur des
énergies renouvelables.
 
5 Afin
de casser la résistance extrêmement efficace des
« quatre grands » au tournant de la politique
énergétique, il faut les attaquer de front, ce qui
paraît envisageable au vu de leur mauvaise réputation:
cassons les consortiums énergétiques, socialisons
l’approvisionnement énergétique !

6 Les
cellules germinales d’un secteur énergétique
démocratique doivent être les services
d’approvisionnement municipaux et les coopératives
énergétiques organisées sur une démocratie
de base. Ceux-ci sont en mesure d’organiser le secteur
énergétique dans son entier, et ils peuvent –
contrairement aux consortiums énergétiques –
être organisés de façon démocratique.
Cependant, cela ne se fera pas tout seul si nous ni travaillons pas
concrètement.

7
« Le tournant énergétique coûtera
cher ! », crient les consortiums
énergétiques. Bien évidemment, la transformation
radicale du système énergétique dans son entier ne
sera pas gratuite. Mais il est également vrai que le coût
de l’énergie augmente depuis des années – et
ceci en dépit du courant nucléaire ou produit à
partir du charbon, soi disant bon marché. Il faut donc
répondre à un triple défi :
l’approvisionnement en énergie doit être raisonnable
du point de vue écologique, organisé de manière
démocratique et équitable du point de vue social. Ceci
signifie, d’une part, des investissements massifs (de la part de
l’Etat), et d’autre part, la fin d’une politique des
prix abusive et monopolistique, telle que celle pratiquée par
les « quatre grands ».

8 La
question écologique est intimement liée à la
question sociale. L’augmentation du prix de
l’énergie ne doit pas amener à la
« misère énergétique »
de celles et ceux qui en consomment déjà très peu.
C’est seulement à cette condition que
l’acceptabilité sociale du tournant vers les renouvelables
pourra être assurée. La condition clé pour
répondre aux enjeux écologiques, c’est
l’amélioration de la sécurité sociale
humaine, au lieu du développement de la pauvreté
provoquée par Harz-IV [réforme socialement
régressive de l’assurance chômage en Allemagne, NDT].

9 La
base populaire de ce tournant radical doit être un vaste
mouvement social sur l’énergie. Le mouvement
antinucléaire; les initiatives anti-charbon et anti-CCS [capture
et stockage du carbone, NDT] ; les milieux actifs par rapport le
climat, à l’environnement et à la globalisation ;
des ONG et des secteurs progressistes ; les services
énergétiques communaux, et bien d’autres; tous
doivent y prendre part !

10 Le
fondement de l’unification d’un tel mouvement, c’est
la lutte pour la démocratie énergétique. Par
démocratie, nous entendons la prise collective des
décisions qui façonnent la vie de tous-toutes, sans la
contrainte du profit. Nous sommes convaincu·e·s que ceci
est déjà possible aujourd’hui dans le secteur de
l’énergie. La démocratie énergétique
est une exigence qui répond au déficit croissant de choix
démocratiques, dont se plaignent de plus en plus de gens
après trente ans de néolibéralisme. C’est ce
déficit qui peut conduire à une majorité à
s’engager dans la lutte pour un véritable tournant
énergétique.

11 Du
point de vue de notre lutte en faveur de la démocratie
énergétique, il est possible de voir sous un autre angle
les initiatives souvent dénigrées contre de nouvelles
lignes à haute tension, des éoliennes et des
réservoirs de pompage-turbinage : ces mobilisations
citoyennes traduisent souvent une protestation contre la perte de
contrôle de leur conditions de vie. En nous fondant sur ce
sentiment, que nous partageons aussi, nous pouvons établir un
dialogue avec eux. Comme l’expérience le montre: davantage
de participation conduit à davantage
d’acceptabilité. Si nous n’agissons pas ainsi, ces
réactions seront utilisées contre nous ; elles
affaibliront et diviseront notre mouvement, si bien que nous risquons
de perdre notre légitimité.

12 Notre
conception du tournant énergétique ne vise pas à
alimenter par d’autres énergies la course folle à
la croissance. Si nous voulons éviter la crise climatique et si
nous voulons transformer l’ensemble du secteur
énergétique dans une perspective écologiste, la
consommation énergétique finale de la
société doit drastiquement diminuer. Pas de tournant
énergétique social et écologiste sans critique de
la croissance !

13 En
résumé : la lutte pour la démocratie
énergétique doit se fonder sur un large mouvement social
dont les objectifs visent à socialiser, écologiser,
décentraliser et démocratiser le secteur
énergétique. Il est évident que l’ensemble
de ces objectifs peut donner naissance à des conflits dans des
situations concrètes. Nous sommes néanmoins
convaincu·e·s que l’on ne peut renoncer à
aucun de ces objectifs, ni d’un point de vue éthique, ni
– encore moins – d’un point de vue
stratégique.

Gegenstrom, Berlin, mai 2011
Traduction pour solidaritéS : Félix Dalang.