Hydroélectricité: des grands barrages pas si verts que ça

Hydroélectricité: des grands barrages pas si verts que ça



La catastrophe de Fukushima pourrait
faire apparaître les grands barrages comme une solution de
rechange neutre du point de vue environnemental. Ce qui n’est pas
le cas. Une récente étude a montré que même
un petit lac d’accumulation comme celui de Wohlen (BE)
émettait 150 tonnes de méthane par an. L’enjeu est
autrement plus dramatique pour les grands barrages, comme
l’expliquent A. Imhof et G. R. Lanza.

Les grands barrages ont souvent imposé des coûts sociaux
et environnementaux et des compromis économiques à long
terme comme la disparition de la pêche, le renoncement à
un potentiel touristique et l’inondation de terres agricoles et
forestières. Selon la Commission mondiale des barrages,
indépendante, la plupart des projets n’ont pas
réussi à compenser la perte subie par les personnes
concernées et à limiter l’impact de ces ouvrages
sur l’environnement. […]

    L’inondation permanente des forêts, des
zones humides et de la faune est peut-être l’effet
écologique le plus évident d’un barrage. Les
réservoirs ont inondé de vastes zones, perdues, de plus
de 400 000 kilomètres carrés dans le monde. Ce
n’est pas seulement la quantité de terres perdues qui est
importante, mais aussi leur qualité : les habitats
fluviaux et des plaines inondables sont parmi les
écosystèmes les plus diversifiés du monde. Les
plantes et les animaux qui sont étroitement adaptés
à des habitats de fond de vallée ne peuvent souvent pas
survivre sur les bords d’un réservoir. Les barrages ont
aussi tendance à être construits dans des régions
éloignées, dernier refuge d’espèces
déplacées par le développement dans d’autres
régions. Personne n’a la moindre idée du nombre
d’espèces de plantes et d’animaux désormais
disparues à cause de la mise en eau des barrages, mais il ne
saurait être négligeable. Outre la destruction de
l’habitat, les barrages peuvent aussi couper les routes
migratoires à travers les vallées et les rivières.
Isolant les populations, fragmentant les écosystèmes, ils
augmentent les risques de consanguinité d’un petit groupe
génétique. […]

    Après une accalmie de dix ans, une relance
majeure de la construction des barrages à travers le monde est
en cours, grâce à l’injection de nouveaux capitaux
provenant de Chine, du Brésil, de Thaïlande, d’Inde
et d’autres pays dits
« émergents ».

Chine : la moitié des grands barrages

La Chine a payé un coût énorme pour accueillir la
moitié des grands barrages du monde. 23 millions de personnes
ont été déplacées, 300 000 ont
été emportées par des ruptures de barrages. La
biodiversité et la pêche ont énormément
souffert, des espèces emblématiques étant
menacées d’extinction, comme l’esturgeon
géant, ou ayant disparu, comme le dauphin du Yangtzé.

    Les objectifs du nouveau plan quinquennal impliquent
la construction de barrages en cascade dans le sud-ouest de la Chine et
sur le plateau tibétain. Il ne s’agit rien de moins que de
construire l’équivalent du barrage des Trois Gorges chaque
année. […] En février 2011, mauvais
présage, le gouvernement chinois a annoncé la reprise du
projet de barrages en cascade sur la rivière Nu (Salween), au
cœur d’un site du patrimoine mondial. Son abandon en 2004
avait été considéré comme une grande
victoire des groupes écologiques.

Amazonie

Les constructeurs de barrages prévoient une centaine
d’ouvrages en Amazonie, sous couvert de promotion à bas
prix d’énergie propre. Les effets de ces barrages en
modifiant le régime hydrique fragile de l’Amazone
viendront s’ajouter aux conséquences de la
déforestation et du changement climatique, pour augmenter
l’assèchement de la forêt amazonienne.
[…]  Emblématique, l’immense barrage de Belo
Monte sur le fleuve Xingu va détourner la presque
totalité du cours d’eau à travers deux canaux
artificiels, laissant les communautés autochtones sans eau, ni
poissons, ni transport fluvial. Le barrage de Belo Monte
entraînera de graves répercussions dans des zones
d’extrême importance pour la biodiversité, ainsi que
des effets irréversibles sur les stocks de poissons du fleuve.

Afrique

La Banque mondiale est de nombreux planificateurs de
l’énergie dans le continent mettent tous leurs espoirs
dans quelque chose d’aussi éphémère que les
pluies pour électrifier l’Afrique, en impulsant une grande
quantité de barrages. […] De nombreux barrages sont en
cours de construction sans examen de la façon dont le changement
climatique va les affecter, même si de nombreux barrages
existants sont en proie à des pannes
d’électricité causées par la
sécheresse.

    […] En réalité, la tentative de
l’industrie de repeindre
l’hydro­électricité en vert, comme technologie
énergétique renouvelable et à la fois trompeuse et
contraire aux faits. Les solutions de rechange sont souvent
préférables. La solution la moins chère, la plus
propre et la plus rapide consiste à investir dans
l’efficacité énergétique. Près de
trois quarts, de l’électricité consommée aux
Etats-Unis pourrait, par exemple, être économisée
[…] Même en investissant dans l’efficacité,
il serait cependant nécessaire de rechercher de nouvelles
sources de production. Dans plusieurs pays du Sud, des sources comme
l’énergie éolienne, le solaire, la
géothermie, la biomasse moderne et
l’hydroélectricité à faible impact, sans
barrage, gagnent du terrain. Ces technologies peuvent être
beaucoup mieux adaptées aux besoins énergétiques
des populations rurales pauvres.

Aviva Imhof
responsable de l’ONG International Rivers


Guy R. Lanza
professeur de microbiologie (Université du Massachusetts)


Article
paru dans « WorldWatch »
en février 2010 et actualisé un an plus tard.
Traduction et coupures de la rédaction.