Moyen-Orient: les révolutions ne s’habillent pas d’éphémère
Moyen-Orient: les révolutions ne shabillent pas déphémère
Versatilité médiatique aidant, on pourrait croire que le
flux révolutionnaire sest définitivement
retiré des plages du Maghreb, en attente des touristes et du
retour au « business as usual ».
Mais la révolution nest pas seulement
explosion lyrique, foules rassemblées et revendicatrices,
liberté guidant hardiment le peuple par dessus les barricades,
comme dans le tableau de Delacroix. Elle a aussi une part de travail
plus obscur, plus quotidien, fait de débats, de discussions, de
mûrissements, de confrontations avec la réalité, de
dessillement, dorganisation matérielle et de tâches
peu héroïques. Cest aussi cet aspect-là
quévoque Marx lorsque, pour parler de la
révolution, il utilise la métaphore, empruntée
à Shakespeare, du travail dune vieille taupe qui aurait
bien creusé dans le sous-sol de lhistoire.
Loin des projecteurs médiatiques, le
mouvement syndical égyptien se (ré)organise enfin sur une
base indépendante, alors que, confrontés au rôle
répressif de larmée, une mise en cause du slogan
de lEtat-major « larmée et le peuple
unis comme les doigts de la main » se fait jour. Chef du
Conseil militaire, le maréchal Tantawi expliquait
récemment quil ne fallait pas trop remuer le passé
(comprendre : mettre en cause la continuité du
pouvoir) : « Nous ne voulons pas oublier le
passé, mais le laisser de côté, afin que nous
puissions aller de lavant avec toute notre
énergie ». Pour le moment, ceux et celles qui ont
obtenu le départ de Moubarak veulent aussi aller de
lavant. Rien ne dit que ce soit dans la même direction que
Tantawi et quil puisse durablement imposer son orientation.
En Tunisie, toutes les grandes villes du pays ont
connu début mai une série de manifestations,
férocement réprimées. Cest bien
laccélération du processus révolutionnaire
qui était demandée par des
manifestant·e·s principalement issus des
classes populaires et lassés du ben-alisme sans Ben Ali que leur
sert le pouvoir en place. Le gouvernement joue la stratégie de
la tension, cherchant à marchander les libertés
démocratiques contre le retour à la
sécurité. Sa victoire nest pas jouée
davance, le bouillonnement social se poursuivant.
Et puis il y a bien évidemment le peuple
syrien, dont la détermination ne peut que nous remplir
dadmiration. Jour après jour, pour ainsi dire,
armés de leur seule volonté, les
manifestant·e·s défient un pouvoir qui leur a
déclaré la guerre. Avec lappel à la
grève générale du mercredi 18 mai, ils avancent
sans faillir.
Moins que jamais, labandon du mouvement
révolutionnaire arabe, toujours vivant, ne saurait
être à lordre du jour. Objectivement du moins. Car
la vraie tragédie réside dans lincapacité
de toutes les forces démocratiques et socialistes occidentales
à soutenir ces révolutions en marche. Comme le dit un
anticapitaliste espagnol, « il est angoissant et
lamentable de constater que les gauches nont pas
été capables de produire une réponse solidaire
inconditionnelle et massive à la hauteur des enjeux. »
(Marcelino Fraile, Izquierda Anticapitalista.) Cest ici et
maintenant quil faut creuser, vieille taupe !
Daniel Süri