"Qui veut de moi et des miettes de mon cerveau ?"

« Qui veut de moi et des miettes de mon cerveau ? »

Depuis plusieurs semaines, la presse
en regorge.  L’affaire Cantat refait la Une. On s’en
souvient : en 2003, Marie Trintignant succombe aux coups de son
compagnon, Bertrand Cantat, chanteur du groupe Noir Désir. Ce
dernier est alors condamné à huit ans de prison. En 2007,
sa demande de libération conditionnelle est acceptée. Il
n’aura en définitive purgé que la moitié de
sa peine.

Aujourd’hui, pourtant, les polémiques soulevées par
le retour de Bertrand Cantat sur la scène culturelle ne se
situent pas sur le terrain de la condamnation des violences faites aux
femmes et de leur droit à obtenir justice. Elles touchent
à mon sens à une toute autre question qui doit nous
interroger.

En effet, Bertrand Cantat a été appelé par le
metteur en scène Wajdi Mouawad à composer la musique du
chœur antique de Des Femmes – Les Trachiniennes, Antigone et
Electre, de Sophocle. Dans ce cadre, il devait également se
produire sur scène. Or, à Avignon, sa participation a
été annulée. Il faut dire que le Festival avait
programmé la même saison – il fallait le
faire ! – un spectacle de Jean-Louis Trintignant. A la
défection bien compréhensible de ce dernier, a suivi
l’annulation de la participation de Cantat.

    Personne ne peut contester le droit de Jean-Louis
Trintignant de ne pas se produire dans le même festival que
l’homme qui a tué sa fille et l’on serait en droit
de se demander quelle mouche a piqué le Comité
d’organisation du Festival d’Avignon. Cependant, sur la
lancée des choix contestables des organisateurs d’Avignon,
la participation de Cantat au spectacle de Wajdi Mouawad a dû
être annulée aussi au Théâtre du Nouveau
Monde à Montréal, suite à une vague de
protestations.

    Programmé également à
Genève, le spectacle ne bénéficiera pas non plus
de la présence de l’ex-chanteur de Noir Désir.
L’ancienne directrice de la Comédie, Anne Bisang,
interviewée à ce propos dans la presse suisse,
s’était dite « peinée et
choquée » par la présence possible de
Bertrand Cantat sur la scène de la Comédie.

    On pourrait bien sûr se contenter de rappeler,
comme le directeur du Théâtre de Namur qui accueillera
Bertrand Cantat en 2012, que « les notions de
réinsertion sont des notions extrêmement importantes dans
nos sociétés, par rapport à des gens qui ont
commis des délits… ». Mais au-delà de
cette affaire délicate, n’est-ce pas l’occasion de
réaffirmer aussi quelques uns de nos fondamentaux ?

    En effet, il est à mon sens tout à
fait illégitime d’assortir une peine de prison d’une
peine d’exclusion professionnelle à vie. C’est
pourtant bien cela que semble sous-entendre Anne Bisang. Il faut au
contraire revendiquer que des hommes comme Bertrand Cantat, qui ont
purgé une peine de réclusion pour un crime, puissent
continuer à exercer librement leur profession. Le contraire
reviendrait à préconiser pour eux une sorte  de
peine de mort sociale.

Stéfanie Prezioso