Contre la féodalisation de la Suisse - Résistance !

Contre la féodalisation de la Suisse – Résistance !

Il y a trois ans, l’ancien
directeur de l’Office statistique du canton de Zurich tirait
à boulets rouges sur la « féodalisation de
la Suisse ». Aujourd’hui, l’explosion des
inégalités au pays des barons du « big
business » confirme son diagnostic. C’est pourquoi
les luttes pour un salaire minimum légal (initiatives de
solidaritéS et de l’USS) et pour
l’égalité des salaires hommes-femmes (Mobilisation
du 14 juin prochain) sont aussi des objectifs démocratiques
élémentaires.

Depuis 20 ans au moins, la part des salaires dans l’ensemble des
revenus distribués n’a cessé de diminuer,
même si cette baisse a été en partie cachée
dans les statistiques par les montants de plus en plus
élevés versés aux cadres supérieurs et aux
managers. Dans tous les cas, les inégalités salariales
ont fortement augmenté, en particulier aux dépens des
travailleurs les moins qualifiés, des femmes et des plus
jeunes : 1 enfant sur 10 vit aujourd’hui dans une famille
pauvre (trois fois plus qu’au Danemark), ce qui commence à
avoir une incidence sur leur état de santé.

10% des milliardaires du monde en Suisse

Pendant la même période, la fortune privée a
crû beaucoup plus vite que l’ensemble des richesses
créées : elle a été
multipliée par plus de 2,5 en 16 ans (de 530 milliards en 1991,
à 1350 milliards en 2007). En 2010, selon le Boston Consulting
Group, la Suisse hébergeait 283 000 millionnaires en
dollars (plus que la France !). Et sur le millier de
milliardaires que compte le monde, une centaine vivent en
Suisse ! Pourtant, à la base de la pyramide, plus des
deux tiers des contribuables ne déclarent que 5 % de la
fortune totale. De surcroît, depuis 20 ans,
l’inégalité de la répartition du patrimoine
ne cesse de croître.

    Cela dit, la fortune privée n’est pas
seulement un énorme trésor sur lequel les plus riches
sont assis. C’est avant tout une formidable source de revenus,
notamment à l’époque de la finance
triomphante : ainsi, en Suisse, durant ces 20 dernières
années, la capitalisation boursière a été
multipliée par 6, passant de 200 à 1200
milliards ! Mieux, les sommes perçues par les
actionnaires au titre de dividendes ou de rachat de titres par les
entreprises ont été multipliées par 10, passant de
5 à 50 milliards.

    En clair, cela signifie que les grandes
sociétés tournent de plus en plus exclusivement en vue de
rémunérer grassement leurs actionnaires plutôt que
pour financer l’investissement productif.

L’Etat et les cantons au service des riches

De surcroît, les autorités cantonales et
fédérales défendent aussi les
intérêts des nantis en réduisant les transferts
obligatoires en faveur des salariés, des chômeurs, des
jeunes en formation et des retraités, femmes et hommes. Cela se
traduit par une hausse continue des primes d’assurance maladie,
du niveau des loyers subventionnés, des tarifs des transports
publics, des taxes d’inscription à
l’université, etc. ; et par une diminution du
montant des retraites (de l’AVS au deuxième pilier), des
prestations de l’assurance chômage, de l’assurance
invalidité et de l’aide sociale, mais aussi des
dépenses en faveur de l’éducation et de la
santé. En même temps, le capital, les
bénéfices, la fortune et les gros revenus ne cessent de
recevoir des cadeaux fiscaux.

    Ainsi, la réforme fédérale de
l’imposition des entreprises, approuvée à une
très courte majorité du peuple en 2008, sur la base
d’arguments reconnus aujourd’hui comme mensongers, va faire
perdre près de 10 milliards de recettes fiscales à la
Confédération au profit des plus gros actionnaires,
notamment des grandes banques. Les intérêts de l’UBS
ont pourtant été sauvés, on s’en souvient,
par l’injection de plus de 60 milliards de fonds publics.

    De même, les autorités genevoises
viennent-elles de proposer de réduire l’imposition de
toutes les entreprises au niveau le plus faible des holdings et des
sociétés mixtes ou de domicile, et à supprimer la
« taxe professionnelle » communale, faisant
perdre le total astronomique de 1,2 milliard de francs par an aux
finances cantonales et communales, soit l’équivalent de
deux fois la subvention de l’Etat aux HUG ou de plus de
12 000 postes de travail dans la fonction publique.

Défendre les intérêts des plus défavorisés

Face à l’ampleur de ces régressions sociales
déjà passées en force ou annoncées, il est
plus que temps que les salariés, les retraités, les
bénéficiaires de l’aide sociale, les jeunes en
formation, les usagers des services publics, femmes et hommes, disent
NON à l’injustice érigée en projet de
société.

    Mais pour être entendu du plus grand nombre,
rassembler les énergies nécessaires et déboucher
sur de premiers succès, ce NON doit avant tout prendre en compte
les intérêts des plus défavorisés, qui
paient le tribut le plus lourd au démontage social en
cours :

    * Les femmes
d’abord, dont les salaires sont inférieurs de 20 %
à ceux des hommes – cet écart ayant augmenté
au cours des toutes dernières années. Déjà
pénalisées par une double journée de travail,
elles sont plus exposées aux bas salaires ; elles sont
aussi plus nombreuses dans les secteurs non conventionnés, et
plus soumises aux temps partiels imposés, au travail sur appel
et à la flexibilisation des horaires.

    Ainsi, la motion Hutter, votée par une
majorité du Conseil national, le 14 avril dernier, UDC en
tête, vise aujourd’hui à priver le personnel de la
vente des très maigres protections de la Loi
fédérale sur le travail (LTr), ce qui représente
une attaque violente contre un important secteur
d’activité dominé par les femmes. A Genève,
le refus actuel des associations patronales de signer une nouvelle
Convention collective dans le commerce de détail va dans le
même sens.

    *
L’ensemble des travailleuses et des travailleurs qui touchent les
plus bas salaires, subissent les conditions de travail les plus
déplorables et sont les premières victimes du
démantèlement de l’assurance chômage, en
particulier les jeunes (45 % des bénéficiaires de
l’aide sociale ont moins de 25 ans).

    C’est la raison pour laquelle nous voterons
OUI, cet automne, à l’introduction du principe du salaire
minimum dans la Constitution genevoise. C’est la raison pour
laquelle nous allons aussi redoubler d’efforts pour faire signer
l’initiative de l’Union syndicale suisse pour la fixation
d’un salaire minimum légal de 4000 francs par mois,
indexé au coût de la vie, qui concerne
immédiatement 400 000 salariés, dont
300 000 femmes, sans compter celles et ceux que la perte de leur
travail et les démantèlements successifs de
l’assurance chômage contraignent déjà
aujourd’hui, et contraindront plus encore demain, à
accepter un nouvel emploi sous-payé.

Front unique contre les gros actionnaires

Pour triompher, notre NON à la régression sociale doit
rassembler un large front de tous les salariés, femmes et hommes
– employés, précaires et chômeurs ;
Suisses et immigrés ; jeunes et moins jeunes ;
travailleurs du privé et du public, etc. Il exige aussi notre
solidarité avec les retraités, les
bénéficiaires de la prévoyance sociale, les
étudiants, les apprentis et tous les usagers des services
publics, femmes et hommes. C’est pourquoi, avec les 13 500
électrices et électeurs qui viennent de faire aboutir le
référendum contre l’abolition du Revenu minimum cantonal
d’aide sociale (RMCAS) à Genève, nous voterons NON
à la baisse des prestations d’assistance.

    Pour renforcer notre unité, nous devons
contrer sans réserve la propagande raciste et xénophobe
de l’extrême droite, relayée par la droite, qui
désigne aujourd’hui les immigrés, en particulier
les musulmans – ou les frontaliers à Genève –
à la vindicte populaire afin de nous diviser, comme elle
stigmatisait hier les Italiens, les Espagnols et les Portugais. Ne
vote-t-elle pas toujours contre nos intérêts avec la
droite patronale la plus agressive ? Ouvrons grand les
yeux : qui sont ceux qui licencient et délocalisent pour
accroître leurs profits, baissent les salaires, amputent les
retraites ou réduisent les prestations sociales ? Ce ne
sont pas les immigrés et les frontaliers, mais les
représentants attitrés des gros actionnaires de ce pays.

Soutien à la grève de l’EMS de Vessy

Enfin, pour triompher, notre NON à la régression sociale
suppose aussi la mobilisation et la lutte, qu’elle soit syndicale
ou politique – sur les lieux de travail, dans la rue, ou au moyen
de l’initiative, du référendum et du bulletin de
vote. Celui et celle qui se bat n’est évidemment jamais
sûr de gagner, mais celui qui renonce à lutter a
déjà perdu !
    Dans ce pays qui a voulu imposer aux travailleurs le
corset de la « paix du travail », il faut
clamer haut et fort que nous ne ferons pas reculer l’injustice
sociale d’un pouce sans lutter avant tout au niveau des
entreprises, c’est-à-dire là où le travail
produit la totalité des biens et services indispensables
à la société. Et que sur ce terrain, le
débrayage et la grève sont les seules véritables
armes à disposition des salarié·e·s.

    C’est pourquoi notre NON à la
régression sociale exige aussi une solidarité sans faille
avec les luttes syndicales pour la défense de l’emploi,
des salaires, des conditions de travail et des droits syndicaux. Les
employé·e·s en grève de l’EMS de
Vessy donnent aujourd’hui l’exemple, face à une
direction qui ne craint pas de faire appel à la police et de
requérir la justice pénale. Soutenons-les
jusqu’à la victoire en participant aujourd’hui
généreusement à la collecte en leur faveur !


Jean Batou*
* Discours prononcé à l’occasion du cortège du 1er Mai à Genève.